vendredi 18 décembre 2009

Héritage


Je me souviens, nous nous levions au creux de la nuit...
Devant nous, le chemin, à peine visible, nous menant vers la forêt, souveraine et lourde de promesses. Nous nous enfoncions, mes frères et moi, dans elle, à pas de loup, sans un mot. Les oreilles aux aguets, nous écoutions les grincements, craquements et bruissements. Le végétal emplissait nos narines. L’air piquant, bien que délicieux de fraîcheur, brûlait le nez et les oreilles. Mes pieds se recroquevillaient dans les bottes malgré les grosses chaussettes. Nous marchions, sans trop voir, avec dame lune pour seul éclairage, mais mes deux grands frères savaient parfaitement quelle direction prendre.
Peu à peu, l’aube naissait et éclairait de sa lumière pâle les arbres alentours. Des oiseaux commençaient à pépier. Non loin, on entendait un grognement, « un sanglier ! » disait le grand frère. Euh …Un sanglier, c’est plutôt une grosse bête. « Il ne charge que si on l’attaque ». Ouf !
Après une bonne heure de marche, nous arrivions sur le plateau des Fagnes. Les rayons de soleil, telle la baguette d’une fée, illuminaient le givre de ses rayons dorés. C’était beau comme au premier jour du monde. Nature virginale. Moi, depuis ma condition d’humaine, je mesurais combien elle vivait, parfaite, sans nous. Et en même temps, de nous, jouir d’elle, peut-être vibrait-elle à son tour de notre regard ?
Nous prenions un sentier de côté quittant le dur pour les tourbes spongieuses. Les bottes s’enfonçaient et menaçaient de prendre l’eau. Avec nos vêtements bruns et verts, nous espérions nous fondre dans le paysage et ainsi, tromper les animaux. Restait leur odorat mais sur nous, point d’odeurs synthétiques. Lorsque nous parlions, c’étaient à mots brefs et à voix murmurée. Je souriais à l’intérieur de voir mes frères si tendus de leur quête : voir et photographier les cerfs, les biches, les chevreuils, laies et marcassins. Reste atavique du chasseur ? Moi, ce que j’aimais surtout, c’était marcher et jouir de mes sens affolés de beauté.
D’expérience, mes frères connaissaient les endroits où se pointaient les habitants des lieux pour brouter tranquilles les herbes rares de l’hiver. Dès que nous apercevions un museau, nous nous baissions et restions immobile depuis le poste d’observation. A l’aide de jumelles, nous guettions leur moindre mouvement. Eux, de temps en temps, levaient la tête. On se recroquevillait un peu plus si possible, comme des diables dans une boîte. Nous restions parfois une demi heure, fascinés par leur majesté. Très vite, le froid me pénétrait. Pas question pourtant de réclamer. J’étais sage et docile, je respectais les règles du jeu. Mais au signal de repartir, j’étais soulagée d’enfin pouvoir me réchauffer par la marche.
Une paire d’heures se passait ainsi. Un lieu de broutage, l’attente, les jumelles, la joie d’une bête cadrée dans l’objectif photo, … Puis venait le temps de rebrousser chemin. Le jour était pleinement levé. Nous croisions les "simples" promeneurs qui débutaient leur promenade. Nous, nous échangions gaiement les impressions de la nôtre. La fin du chemin…la voiture. Café fumant et tartines attendaient nos estomacs affamés.
Avec le ventre plein et la chaleur retrouvée se pointait la fatigue. Mais pas l’ombre d’un regret. Grâce à l’énergie et à la passion de mes frères, j’avais pu m’arracher du lit pour vivre avec eux le sentiment profond d’appartenir à la nature. Je me sentais neuve et lavée de la civilisation. Aujourd’hui, ce germe sauvage est toujours gravé dans mon cœur comme un précieux héritage.

mardi 8 décembre 2009

Inch Allah


On signe avec la vie comme pour un mariage : pour le meilleur ET pour le pire, pour les joies ET les peines.
Enfant, j’ai connu un moment d’une telle souffrance que j’aurais voulu, plus que tout, que ça cesse. Je ne peux mesurer totalement jusqu’à quel point de profondeur cet évènement a touché ma vie. Ne pouvant disparaître, j’ai perdu une partie de moi essentielle. Elle a rejoint un lieu de ma psyché où un monde autre, dont je peux apercevoir les contours lors de méditation ou de voyages chamaniques.
Aujourd’hui, lorsqu’un grand chagrin affecte ma vie, j’ai le réflexe de vouloir disparaître, que ça cesse. Mais tout comme alors, je ne le peux. Cette impuissance est comme une flèche qui me transperce le ventre.
Contrairement à Cioran, ce précieux scrutateur des abîmes, je ne peux me consoler de vivre, en sachant qu’il est toujours possible de se débarrasser de soi-même. Toute puissance illusoire. Je sais, que la souffrance n’est alors que postposée, je sais, combien l’âme est alors en errance dans ce monde des vivants s’en pouvoir en sortir.
Alors, nul recours sinon la rage, la vengeance (contre la vie ?) ou la résignation ?
Oui, ce sont des possibles.
Une autre voie est celle de se laisser transpercer, tout cru par la souffrance. Se laisser labourer, tout nu, par l’impuissance. Dame Mort n’est pas loin, qui glisse à l’oreille de qui peut l’entendre, qu’elle seule décide vraiment du mot fin (qui est aussi éternel début d’autre chose mais ça aussi il faut s’en délester).
Se sentir plus bas que terre, voilà ce qui reste du terrassement. L’ego a beau s’accrocher, il ne peut résister, écrasé sous le poids de ce qui est.
Et puis, à un point ultime de l’implacable… mystère… en un instant, qui a toujours été là et qui sera toujours, viennent la paix du cœur, la joie, une musique céleste qui teinte l’espace. Plus une seule pensée n’encombre cette beauté intransmissible.
Tout est bienvenu, rien n’est à craindre. Je ne peux, à nouveau, que remercier et reconnaître l’intelligence suprême qui se cache et se dévoile dans ce mystère.

lundi 7 décembre 2009

Initiation


Je me rappelle de la musique de mes treize ans. Mon grand frère veillait à mon éducation musicale, hors du hit parade sur RTL. Un an plus tôt, j’avais pleuré, désespérée, la mort impromptue de Claude François. Fin d’un chapitre. Grâce à ce grand frère, je découvrais Led Zeppelin, Deep Purple et surtout Pink Floyd. A mes fraîches oreilles, leur musique représentait un monde mystérieux, excitant et un peu dangereux.
Un jour, il voulut me parler. Il avait une mine plus réjouie que d’ordinaire. Il venait d’acheter deux billets de concerts pour « The Wall » à Londres! Je n’ai pas, tout de suite, réaliser la merveilleuse extravagance de ce projet. Il avait des amis à qui il aurait pu le proposer mais c’était moi qu’il avait choisi. Aujourd’hui, je réalise qu’il s’agissait d’un cadeau initiatique d’un grand frère de vingt-trois ans à sa petite sœur de treize.
Un beau soir, nous sommes partis à bord d’un ferry pour traverser la Manche. Un bus, rempli de garçons tous plus chevelus les uns que les autres, nous a d’abord conduit à Ostende, puis nous avons embarqués. La traversée a duré jusqu’au petit matin. Mon frère a été bien malade, je crois. Moi, j’ai essayé de trouver un coin où dormir.
Le lendemain, visite de Londres, Backerstreet entre autres, qui était le titre d’une chanson que nous aimions tous les deux. Nous avons aussi écumé de nombreux disquaires.
Enfin vint le soir et le concert tant attendu. Une salle immense, genre vingt mille personnes. Chacun sa place numérotée. En fait, plus qu’un concert, il s’agissait d’un spectacle. Le mur se construisait sur scène et la musique s’intégrait au sein de ce concert-concept: son et images. Ce fut magique et déroutant à la fois. Le volume sonore était très doux, très calme. De plus, nous devions rester bien assis. Question de cohérence: « The Wall » étant, entre autres, la dénonciation du fascisme de la rock star sur les foules fascinées, il était malvenu de reproduire ce qui était dénoncé. Moi, du haut de ma fougueuse jeunesse, j’avais parfois envie de me lever et de me trémousser. Et bien… pas ! Ceux qui tentaient le coup étaient gentiment rappeler « à l’ordre » par des vigiles. Atmosphère "grand messe du rock" un peu particulière…
Nous avons dormi dans un hôtel un peu crado et sommes repartis le lendemain. La traversée de retour se déroula au grand soleil, sur le pont du ferry. Je flottais comme dans un rêve. J’étais allée à Londres, avec mon grand frère et j’avais vu Pink Floyd! Je ne me souviens plus si je l’ai remercié. Plus tard, il m’a encore emmené, avec sa bande de copains et copines cette fois, à d’autres concerts. Il me transmettait sa passion, à sa façon, sans trop de mots, par l’expérience. Tout comme il l’avait fait lorsque j’étais plus petite lorsque nous allions dans les Fagnes pour guetter les animaux au lever du jour. Il était mon initiateur et j’étais son élue dans la famille. Longtemps encore, je le suis restée. Et puis plus, sans qu’aucun mot soit dit.

samedi 5 décembre 2009

Les sandwichs au jambon de mon enfance.


Je me souviens des sandwichs au jambon de mon enfance. Nous les mangions le samedi soir devant la télé, mon plus jeune frère et moi. Rien que tous les deux, les petits.
La miche du pain était fraiche et moelleuse. En bon wallon, nous les appelions des pistolets. Au-dedans, nous les tartinions de beurre dur, juste sorti du frigo. Ensuite, deux ou trois tranches d’un début ou d’une fin de jambon, maigre et parfumé, découpé au cours de la journée à la boucherie familiale. Et ce n’était pas tout ! Pour accompagner ces sandwichs, des frites salées, avec de la mayonnaise, découpées à la main (la belle époque) par Willy, qui tenait la friterie du village.
Nous nous régalions. Le froid des sandwichs, en contraste avec le chaud-gras des frites formait un divin mélange à mon palais d’enfant.
Nous sortions du « bain de la semaine », que nous prenions ensemble. Nos corps étaient gonflés de chaleur dans nos pyjamas de pilou. Nous nous installions à la table de la cuisine et nous attendions avec impatience une de nos émissions favorites « Les Jackson five ». Leur musique était irrésistible et Mickaël, le génie de la bande, éclatait de vie et de talent sous nos yeux émerveillés. Souvent, nous nous levions pour nous déhancher comme lui et nous riions, au point de presque pleurer. L'insouciance et la joie habitaient nos jeunes âmes unies.
Je me souviens de ce moment simple, pure de mon enfance.

vendredi 13 novembre 2009

Déréliction oblique- mon adolescence


Puisqu’Ils ne m’aiment pas telle que je suis,

Alors,

Je vais me détruire
Je vais tout détruire
Je vais disparaître
Je vais leur faire payer
Je vais refuser de leur faire plaisir
Je vais pleurer
Je vais me taire et les mépriser
Je vais faire semblant de m’en fiche
Je vais me disputer
Je vais mettre un masque pour être quelqu’un d’autre
Je vais essayer de leur plaire
Je vais les observer et faire comme eux
Je vais être insupportable
Je vais compenser en mangeant
Je vais compenser en fumant
Je vais vérifier si les autres m’aiment ou pas
Je vais croire ne pas être aimable
Je vais ne pas m’aimer non plus.

lundi 2 novembre 2009

La danse de Shiva


Quoi de plus simple que de vivre ? Mais pour peu que l’on y regarde de plus près, ça se corse. Petite visite dans les profondeurs…
Un jour, une phrase de l’actuel Dalaï Lama m’avait interpellée : « Quand je mange, je mange. Quand je bois, je bois. L’important est de ne faire qu’une seule chose à la fois. »
Il est pour cela un maître. Sa présence physique et mentale est totale. Mais qu’en est-il de vous, de moi ? Avez-vous déjà observé à quel point nous sommes essentiellement les marionnettes de notre mental ? Démonstration…
De ce matin à ce début d’après midi, j’ai prêté attention à chacune de mes actions. A chacune d’elle, une pensée surgit, l’image d’un souvenir ou d’une anticipation lui est jointe, suivie de près par un commentaire. Le tout en une fraction de seconde. Et si je ne suis pas consciente du mécanisme, le premier commentaire sera suivi d’une autre pensée liée à une image d’un souvenir ou d’une anticipation… ad vitam eternam.
Quasi toute notre vie peut ainsi être vécue « à côté ». D’apparence présent, en réalité dans « la mental box », divisé. Distrait ce qui étymologiquement veut dire « à côté de soi. »
L’essence de l’attention est la totale présence à l’instant et pour cela, quelle chance, nous avons reçu un corps ! Quoi que nous fassions, nous sommes sensuellement au contact du monde. Inspirer et sentir l’air qui pénètre les poumons. Expirer et ressentir le contact de l’air plus tiède avec les narines (« c’est délicieux » disait cet autre moine bouddhiste, Chogyam Trungpa). Pure tactilité du toucher de nos pieds sur le sol. Ressenti de ses propres mouvements dans l’espace, du vent qui caresse la joue. Enivrement d’un parfum ou des couleurs de la forêt en automne. Le chocolat chaud qui suivra, je peux aussi le savourer en totale présence, uniquement centrée sur son goût, son odeur, sa texture, sa chaleur sous mes doigts.
Lorsque je prends place dans cette dimension sensuelle, je Suis, corps et esprit réuni. Retour aux origines, à l’enfance…Simplicité d’être.
Amoureusement vôtre.
PS : En fait, ah ha, ce n’est pas aussi simple sinon nous serions tous des maîtres ! Pour ceux que cela intéresse, je poursuis…
La première difficulté est la Très grande exigence d’être, dans cette qualité de présence, à chaque instant.
Secundo, pour corser l’affaire, nous existons dans une réalité duelle ou la vie est inextricablement liée à la mort. La lumière n’existe que par l’ombre et vice versa. « Très bien, oui, nous sommes mortels, c’est une évidence » me direz-vous d’un air légèrement amusé ou condescendant ou étonné (au choix). « Pauvre fille, quinze ans de yoga pour en arriver là… ». Je souris et persiste…
Le voile dévoilé d’une balade chamanique m’a révélé ceci : A chaque instant, je vis. A chaque instant, je meurs, SEULE condition d’une possible (re)naissance. Dame mort est inextricablement liée à la vie. Sans la mort, la vie n’existe pas. Danse de Shiva. Un maître est totalement conscient de cette dimension. A chaque instant, il est totalement présent, seule condition possible à la disparition de qui il est (ce que le new age appelle le lâcher prise qui est tout sauf volontaire. On ne lâche pas prise, ça lâche prise). Puis il renaît totalement neuf. Il est là et en même temps, personne n’est là. Fi de mémoire, fi d’anticipation, le saut dans le vide permanent. Plus d’ego, d’agrippement (l’ego est en fait l’agrippement). Sans peur, sans attente, pure présence. Percevez-vous comme moi le vertige de cette exploration?

dimanche 25 octobre 2009

Destinées


Lignée de femmes effacées d’elle-même, sans destin ni existence propre, avec pour seul royaume le monde domestique, vide de sens. Errance au quotidien dans un univers, physique et mental, clos. Je fais partie de cette lignée; grand-mère, mère, tante, soeur... Survivante et consciente de l’être.
Oser dire qui je suis, peu importe le véhicule et franchir le barrage qui sépare d’une existence en retrait, nourrie par et pour les autres, à celle propre à soi, dans la lumière, au contact du Réel, voilà ce qui me pousse, me tiraille, me tenaille, me titille, me déchire, m’écartèle, …
Mettre en prières, en images, en mots et en voix le silence subit de ces femmes et des autres semblables à elles, les faire renaître, transformer ce poids mort de l'ombre de leur destinée, traduire leur vie de patience et de renoncements, tout en tissant la mienne... Accueillir en mon sein leurs chagrins, afin que jaillisse la Joie... Enfanter à ma façon... Aimer, traverser le désir et la peur qui s’entremêlent et dire Oui à la Vie… Voilà le fruit de ce qui m'a été chuchoté ce matin, à l'aurore...

mardi 20 octobre 2009

Un enfant n’a rien dire, il obéit!


A la suite de la vision de la Palme d'Or de Cannes, "Le ruban blanc" de Mickaël Haneke (allez-y, c'est très bien, d'une plastique classieuse), j'ai écrit ce texte...

Je me rappelle mon père disant vouloir nous dresser, nous, ses enfants, comme si nous étions des chiens.
Ce regard de violence m’a longtemps semblé justifié. J’étais un être mauvais. La colère m’entraînait à l’effronterie, à la querelle. Mon père, à coups de claques, de brimades et de voix menaçantes, prenait le rôle de les faire cesser, de stopper leur intensité dévastatrice. Tout était pour le mieux dans un monde détraqué.
Mais l’adolescence a renversé la perspective. Etait-ce si juste de nous imposer par la violence de ravaler notre colère ? N’avions-nous, n’avais-je pas le droit de ne pas être d’accord ? N’y avait-il pas d’autres moyens ?
En grandissant, mon regard sur le monde s’est élargit. Je compris qu’il avait s’agit pour mon père de reproduire le système qu’il avait connu lui-même : « Un enfant n’a rien dire, il obéit. » Tout comme moi, il avait dû ravaler bien des larmes de cette injustice subie.
Contrairement à cette forme d’éducation basée sur le pouvoir du maître sur ses sujets-objets, je sais, nous savons de plus en plus que d’autres voies sont possibles : celle de l’expression de chacun dans l’écoute, celle de la communication non-violente, celle de l’éducation aux émotions.
Mais je me demande …
Pourquoi, durant tant de siècles, le pouvoir des pères a-t-il été si grand, si souvent monstrueux ? Pourquoi l’enfant est-il considéré comme mauvais et pervers plutôt qu’apprenti dans la vie ? Pourquoi ce regard de violence plutôt que d’amour ? Pourquoi Freud lui-même, découvrant l’inconscient, en vient-il à le nommer « obscur et destructeur » car non raisonnable ?
J’entrouvre la porte…ça grince…haine du féminin, du dedans, du non maîtrisable, de l’inconnu, de la mort…

lundi 12 octobre 2009

Le Rêve



Ce texte (s')est écrit à la suite de la lecture du livre "La maîtrise de l'amour" du chaman, Don Miguel Ruiz. Lire aussi "Les 4 accords toltèques", qui fait partie de mon top 5 des livres. Tous deux aux Éditions Jouvence.

Il était une fois une petite fille, toute nue, qui éclôt sur la terre un 4 avril. Elle était douce et rosée comme un champs de coquelicots. Un jour, elle tint toute droite sur ses deux pieds, alors, avec son cœur en médaillon, elle s’élança dans la vie. Elle prit des coups, tomba et se releva, toujours confiante. Elle en prit d’ autres, tomba, se releva, un peu moins confiante. Ainsi de suite jusqu’à ce que la confiance et elle se séparent. Toute tendre en dedans, elle vit qu’au dehors, ce ne l’était pas autant. Il fallait obéir, se taire, subir. Jamais elle n’était assez parfaite. Elle connu l’injustice de s’offrir mais de ne pas être vue, l’injustice de subir la violence sans pouvoir se défendre, l’injustice de n’être pas consolée dans les bras chauds d’une maman… D’injustice en injustice, son corps du dedans se couvrit de plaies faites de larmes ravalées et de colère refoulée. Sa peau restait lisse mais ses yeux, miroirs de l’âme, étaient voilés de chagrin. Peu à peu, elle se fâna, elle n’osa plus être qui elle était vraiment et même elle se dit qu’elle avait tout bien mérité. En somme, qu’elle était une ratée. Dans sa tête, elle quitta le monde des hommes : trop dur, trop âpre. Son masque se mit en place, histoire de faire semblant, histoire qui sait ?, de ramasser quelques miettes de sourires partagés.
Elle s’envola dans son imaginaire, se construisit un univers secret. Dans la nature, elle s’ouvrait, se sentait fleur parmi les fleurs. Elle parlait aux libellules, aux vaches , à la rivière et aux chiens, qu’elle aimait particulièrement. Surtout les laissés pour compte auquels elle s’identifiait.
Puis elle grandit, devint adolescente. Son visage se couvrit de boutons. Les plaies se dévoilaient au grand jour. Pas facile pour rendre les baisers des garçons qui, malgré son air farouche, osaient s’approcher d’elle. Ils lui demandaient : « Qui es-tu ? ». Elle rougissait, ne pouvait répondre, c’était flou à l’intérieur.
Un jour, il y en eu un qui s’accrocha et réussit à franchir le mur d’embûches qu’elle avait dressé autour de son cœur. Ils se plurent beaucoup mais peut-on vraiment aimer l’autre et la vie quand on ne s’aime pas soi ?
Devenue femme coquelicot, elle vit que ses pétales étaient malades : elle prit conscience des plaies qui réclamaient guérison. Les symptômes étaient : de ne savoir qui elle était, de ne savoir où elle allait, de ne savoir où était sa place, de chercher des réponses, en vain, sans pouvoir s’arrêter, de ne savoir aimer…
Munie de ses armures, elle prit le chemin de retour vers les hommes. S’il lui fallait rester, autant vivre pour le mieux, se dit-elle. Elle vit que le monde n’était pas plus tendre qu’autrefois et elle comprit qu’il était le fruit du Rêve des humains, à qui, comme elle, on avait menti et qui ne s’aimaient pas (encore ).
Elle fit le chemin inverse et une à une, ses plaies se dévoilèrent. Reconnaître la plaie, l’ouvrir, traverser le mal, la désinfecter avec beaucoup d’attention et d’amour (avec l’aide des Anges), laisser cicatriser, tel était le processus de guérison. C’était long, douloureux mais au bout du processus l’attendait la Joie, la Vérité, la Paix, l’Amour … ainsi qu’un énorme merci d’être née.

lundi 5 octobre 2009

Sur le quai

Je suis là sur le quai du métro.
Non pas là, quelque part ou ailleurs.
Non, « je suis » à chaque millième de seconde, là, sur le quai du métro.
Je sens la plante de mes pieds déposés sur la terre.
Le contact est doux, souple et goûteux.
Mon corps est réceptif à l’espace.
Contenu en lui.
Une ligne de clarté me traverse depuis le sommet de la tête jusqu’au sol.
De même dans le sens inverse.
Je contemple et je sens.
Je vois, hume et perçois le spectacle de mes congénères terriens.
« Nous sommes embarqués »
L’espace est contigu, une centaine de personnes sur le quai, de quoi faire surgir l’atavique en nous.
Défense instinctive dans le regard, dans les mains, les épaules.
Nous tous, sur ce quai, sommes soumis à des tensions territoriales intenses mais l’éducation nous contraint à repousser la libération de celles-ci.
Le corps encaisse les tensions, avec au sommet, la tour de contrôle, le mental, en position d’hyper vigilance.
Défense-agressivité ou fuite: hier ou tout à l’heure en copié-collé.
Fascinant spectacle de non présence à soi-même et donc forcément aux autres.
Banal spectacle d’une ville à l’heure de pointe.

« Quoi d’autre(s) possible(s) ? » demande le quidam.

TOUT embrasser.
Le bruit, les autres.
Le corps bousculé ou fatigué, peut-être qui a faim.
Les soucis au boulot ou à la maison.
Le sentiment d’impuissance ou d’inutilité.
L'esprit en déroute.
L'âme qui vacille.
TOUT aimer.
Sourire et voir la beauté d’un visage qui sourit en retour.
Ce monde là est en marche…

mardi 29 septembre 2009

Au centre du Maelstrom


J’aime si mal, du haut de mes trois pommes.
Dans la nuit de ma blessure,
Je me crois seule et abandonnée.
Nulle raison ne peut plus apaiser le chagrin,
Coulent larmes, larmes…
Sentiment de trahison, d’injustice, d’impuissance
Occupent tout l’espace de mon être.
J’implore d’être sauvée, l’amour qui me délivrera.
Béance et puits sans fond de la soif d’être consolée.
Je ne souhaite plus que de mourir…
Démission de ma lumière, trahison de moi-même …
Ouroboros.
J’aime si mal... mais la vie m'apprends à chaque instant.
L’amour est un don,
Pour soi, pour l'autre, pour l'univers, pour rien.
Gratuit, il ne réclame rien, il est fluide non saisissable.
Il n’appartient à personne, il s’offre à chacun.
Le moment du choix se précise de plus en plus clairement pour moi :
Le chemin de l’amour ou celui de la peur.
Pas à pas, tel un funambule sur le fil au centre du maelstrom,
J’avance sur le chemin de l’amour, vaillamment, coeur ouvert...

jeudi 24 septembre 2009

Passion


Je me rappelle avoir vécu une passion : le violon. Je jouais une heure par jour, chaque matin, des gammes et puis des extraits d’œuvre à déchiffrer puis à interpréter. Je prenais un cours chaque semaine, en plus du solfège et j’allais très souvent au concert écouter des œuvres classiques ou contemporaines. C’est assez réjouissant quelqu’un de passionné, il semble heureux, on se réjouit de sa réjouissance. Et pourtant, quand je me repense à cette époque, je sais que j’étais nettement plus « dans le gaz » qu’aujourd’hui malgré les doutes et les tourments qui ne ratent pas l’occasion de croiser mon chemin. Je m’activais, oui, mais je fuyais tout autant.
Dès qu’il y a « action », se pose ou devrait se poser la question : qu’elle en est l’intention ? Fuir la solitude, s’échapper de l’incertitude, de la peur, du manque ou au contraire se laisser guider par la perception de ce à quoi l’âme aspire ? Répondre au réflexe conditionné du trio victime, bourreau, sauveur ou répondre à la soif de beauté, de justice et de paix ? Soif que l’on sait par ailleurs inassouvissable dans la continuité mais qui, en même temps, tend vers Celui qui en est l’origine et la cause. L’agir est alors offrande et non plus fuite, gratuité plutôt que possession, prière plutôt qu’objectif. L’agir est alors Jeu divin.
Je me rappelle combien l’idée de me sauver de la piètre image de moi-même alimentait le moteur de « jouer du violon ». Aujourd’hui, je sais, je vois que mon action est encore teintée de fuite. Et si la tristesse ou la rage s’enchaînent à ce constat, il s’agira de la fuite de la fuite…retour à la case départ. « Je » dans le labyrinthe. Une sortie possible du labyrinthe ? Non, pas. La sortie est, à nouveau, fuite. Que faire alors ? Rien de particulier. Patiemment, dénouer les fils, sans se presser, sans rien espérer et au rythme gracieux de doigts délicats, tisser un nouveau dessin dont chaque fil est Son Œuvre.

mercredi 23 septembre 2009

Tryptique


L’ogre

Il est dans le fond de la salle où se déroule un spectacle des enfants de l’école communale. Il se tient à l’écart. Assis, tranquille, il sirote une bière. Ca, c’est ce que l’on peut voir de lui à l’extérieur. A l’intérieur, son corps est tendu à la recherche d’une proie.
Il est l’ogre, l’homme sans cœur, ni conscience. Il est le psychopathe sanguinaire. La violence qu’il ressent jusqu’au bout de ses doigts lui donne envie de tuer, d’enfoncer une lame dans un corps tendre. Cette pensée lui donne un avant-goût de jouissance. Il doit le faire. La tension est trop forte. L’appel du meurtre le tenaille. Et puis, la victime ne le réclame-t-elle pas ? Il a vu dans les yeux de certaines, combien elles avaient désiré l’annihilation d’elle-même. Il a vu dans leur regard la peur mais aussi le soulagement, voire de l’amour. L’amour ça le fait gerber. C’est mou, c’est baveux, ça réclame. Sa femme, il la mate. Il lui impose sa loi. Sa soumission est seule requise.
Il attend. L’union par la mort et le sacrifice s’avance. Il sait que la prochaine petite garce va le reconnaître. Elle va frissonner, tressaillir et sa peau dégagera un parfum qu’il repère entre tous. Le parfum de l’effroi. Alors, il n’aura plus qu’à tendre son piège, à l’attirer vers lui comme un papillon de nuit vers la lumière. Alors, il crèvera ses yeux et les noces au sein des ténèbres s’accompliront.

La folle

Dans la salle nickel blanche de l’institut, elle bave. Ses yeux sont fermés, sa tête est penchée vers l’avant. Elle est debout et ses mains recroquevillées dessinent des formes dans l’espace, danse mystérieuse au sein du silence. De temps en temps, elle éructe quelques sons. En elle, il y a des vagues qui la font tanguer. Là voilà qui pleure à petits soubresauts. Puis elle se balance. Elle sent le haut de sa tête prête à éclater et c’est vide dans son ventre, juste sa tête douloureuse comme resserrée par un étau. La lutte s’engage contre cette voix qui la traite de pute, de conne, de déchet de l’humanité. La haine d’elle-même l’engloutit comme un galet emporté par la force de la mer. Son souffle se fait lourd. Elle le crache chargé de violence et d’envie de détruire. Elle se sent submergée par un brouillard dense qui l’étouffe. Alors, elle tente de l’extraire d’elle-même. Elle dit les mots haineux de la voix qui parle en elle. Ces mots sortent d’elle mais ne la soulagent pas. De rage et d’impuissance, elle pleure à nouveau. Elle souhaite mourir et appelle l’ogre qui la délivrera de son cauchemar.

L’enfant

L’ogre au couteau lui rappelle quelque chose. Un endroit dans la maison. C’est le magasin, la pièce de l’ogre où défilent des clients venus se repaîtrent à bon marché de leur lot de cadavres animaux. Quand vient la nuit, les paroles de la journée se déposent, viennent le silence et les ténèbres glacées qui enveloppent les couteaux et la hache bien rangés et lavés de leur sang sur l’établis où se tient l’ogre durant le jour.
Elle est dans son lit. Elle a peur de l’ogre qui pourrait venir mais elle a aussi peur de s’endormir. Des êtres maléfiques l’attendent dans son sommeil. Toujours ce même rêve : elle est dans la cave, attachée à des chaînes comme un chien. Comme lui, elle geint. Elle se sent comme un déchet, sale, moins que rien. Il fait très sombre mais elle sent qu’elle n’est pas seule. Des ombres s’approchent doucement d’elle. Elle se réveille toujours avant de les voir et de savoir ce qu’ils lui veulent.
Son corps est tendu. Elle tourne et se retourne dans les draps. Elle guette le moindre bruit. Tout à l’heure, ce seront les pas de l’ogre qui monte l’escalier. Peut-être ce sera cette nuit qu’il l’emportera jusqu’à la pièce aux couteaux ? Là, il la couchera. Elle ne dira rien. Elle sera pétrifiée par la terreur. D’une de ses grosses mains, il la maintiendra et de l’autre, il choisira d’un œil expert le couteau le plus tranchant. Il y aura le son de la lame qui s’enfonce dans son corps. La douleur surgira mais elle le sait, elle sera aussi soulagée d’être délivrée de la peur, délivrée de la vie. Elle s’évanouira dans cette étrange impression et lui accomplira sa besogne d’ogre. Il la désossera et suspendra sa chair aux crochets du frigo. Le sacrifice sera accomplit.

jeudi 10 septembre 2009

Erotisme de l'enfance


Je me rappelle de ma première émotion érotique. Nous étions quelques petites filles réunies une après-midi d’été et nous jouions dans la chambre de l’une d’entre nous. Il y avait un coffre à déguisements dans laquelle nous puisions. Comment les autres s’étaient-elles habillées ? Je me souviens pour ma part de vêtements flous, genre crêpe de chine et par-dessus un petit tablier blanc. Avions-nous choisi le thème des maîtresses et soubrettes ? Il faisait chaud, nos tenues étaient légères et dans l’air vibrait une atmosphère électrique. Nous dansions en nous apportant des thés et des gâteaux, genre dînette, et rions en nous vautrant sur des tapis et matelas. Un souffle érotique s’est infiltré en nous. L’une d’entre nous a pris les commandes du jeu. Elle nous a enjoint de se coucher l’une au côté de l’autre, bien serrées. Emoustillées par cet ordre et par le contact de nos peaux, nous avons commencé à nous rouler l’une sur l’autre dans un glissando torride. Entrelacements de nos corps, évanouissement des contours. Prise de vertige, j’ai fermé les yeux. Mes joues et mon sexe étaient en feu. Effleurements des mains. Première jouissance. Je me souviens de ma joie de la découverte d’un tel plaisir possible. Du bien-être qui suivait.
Mais la honte s’est-elle immiscée entre nous ? Ce jeu nous était-il interdit? Je ne me souviens pas de comment nous nous sommes quittées lors de cette après-midi d’été. Jamais un mot n’a été dit entre nous de ce qui s’était passé. Jamais plus nous n’avons recommencé ce jeu. Pour ma part, cette découverte érotique a signé ma naissance au monde sensuel. Je n’ai ni remords, ni regrets, comme disait le beau Serge…

mardi 8 septembre 2009

Bodhicitta.

Tout à l’heure, j’assiste à la violence ordinaire, quotidienne, tolérée. Mais est-ce tolérable de voir une mère rabrouer son enfant avec des mots très durs alors qu’il ne faisait que jouer dans la file du supermarché ?
Je suis heurtée et j’en conclus qu’il s’agit là d’un exemple de la dramatique position du pouvoir de l’adulte vis-à-vis de l’enfant. Mon premier élan est de plaindre le petit, la victime, un peu trop vivant aux yeux de sa mère. Et de fustiger l’adulte, le bourreau. J’observe plus attentivement la mère et je perçois un stress immense et un mal-être qui déborde de sa jupe. Qui des deux est le plus à plaindre ? Cette femme est à bout de nerfs. Ses gestes sont brusques et saccadés. Son visage est crispé, ses yeux tendus.
Je me rappelle que l’agressivité est une peur et du souvenir très clair d’avoir pris conscience de ce lien me vient alors un espace dans le cœur qui embrasse la scène toute entière. Le fils, la mère et tant que j’y suis la vendeuse du supermarché, rivée toute la journée à sa caisse.
D’avoir inversé le réflexe de mon agressivité vis-à-vis de cette mère, le cercle de la violence s’est rompu. Bodhicitta.

jeudi 13 août 2009

Paradoxes


Plus je veux saisir la vie, plus elle s’éloigne
Plus je veux retenir le suc, plus le monde est aride
Plus je veux me détendre, moins je souris

Plus je veux contrôler l’espace, plus je me sens à l’étroit
Plus je veux ne pas souffrir, plus l’enfermement me guette
Plus je veux savoir pourquoi je suis là, moins je me sens exister

Plus je veux ne pas me tromper, plus je me perds
Plus je veux être délivrée, plus je vis la peine
Plus je veux devenir, moins je suis là

Plus je veux la perfection, plus je culpabilise
Plus je veux que ce soit autrement, plus ça ne change pas
Plus je veux être quelqu’un, moins je suis à l’écoute

Plus je veux que tu sois là, plus je me sens seule
Plus je veux l’harmonie, plus je vis la guerre
Plus je veux être comme tout le monde, moins j’aime qui je suis

Plus je veux m’oublier, plus les pensées m’enchaînent
Plus je veux du pouvoir, plus je me sens pauvre
Plus je veux être pure, moins je suis sensible

Plus je veux être ailleurs, plus je suis en prison
Plus je veux être rassurée, plus je doute
Plus je veux le bonheur, moins j’aime la vie

Et au fait, qui est "je" ?

mercredi 29 juillet 2009

Nudité


Se dénuder,
c'est enlever les couches qui recouvrent la nudité
et non pas,
enfiler un costume de nudité pour recouvrir les autres costumes que l'on veut voir disparaître.

Encore mieux...se dénuder, c'est juste voir les couches qui recouvrent la nudité et s'offrir à la confiance d'être nu(e).

mardi 28 juillet 2009

Bénédiction

Une petite inquiétude au réveil.
Un rêve troublant.
Le nuage s'est installé, insidieux, à bas bruit.
Voici la morne attitude,
Le vivre dans la prison-tête aux barreaux invisibles que sont les pensées.
Toujours ailleurs, toujours demain ou il y a quelques heures.
Frustration sans raisons, tout pour être heureux.
Et pourtant cette amertume et ce corps lourd
Donnent à la vie une teinte en grisé, comme une demi-mort.
Seuls l'écoute, l'arrêt de faire, permettent à cette mélodie tristounette
De s'élever, de révéler ses notes une à une.
Ne pas s'aimer, vouloir être quelqu'un d'autre,
Etre déchiré par des désirs contradictoires:
l'un de s'échapper, l'autre de devoir.
Recevoir le tumulte, s'accueillir dans la peine et tomber et mourir.
Abandonner.
Silence de l'instant dans la clarté de l'âme.
La joie pure jaillit aussitôt.
Je bénis l'immense pouvoir de la gratitude.

jeudi 2 juillet 2009

Le "-1"

Quand tu passes la porte du « -1 », tu peux mettre ton ego au placard. Pour naviguer ici, seul te servira ton cœur. Car ici, personne ne peut plus prétendre être quoi que ce soit. Ni toi, ni les gens dans leur lit. Non pas de le vouloir. C’est la maladie, la vieillesse, la douleur et la souffrance qui le veulent.
Moi, je sais et je ne sais pas pourquoi je suis là...Touchée, ébranlée… Il ne me faut pas cinq minutes pour pleurer cette fragilité et la mienne du même coup, probablement.
Corps meurtris, douloureux, que pas un bien portant dans ce monde ne pourrait supporter ; ecchymoses sur les bras, jambes aux plaies noires, maigreur extrême.
Tu ne peux voir que ces corps et n’importe quel autre que celui qui choisit de voir ce qui n’est pas visible, s’enfuira par réflexe. Et si tu es celui qui ne s’enfuit pas, tu plonges ton regard au-dedans de cet autre, qui est aussi toi, tu relies ton cœur à celui de l’autre, qui est aussi toi.
Ici, cachés derrière les murs qui protègent les bien vivants (ou qui se croient l’être) de leur vue, règnent l'anéantissement, le tragique, les besoins dans le lange, la démence.
C’est tellement fort que pour les mieux lotis, ceux qui bougent encore, ou qui sont « sauvés » pour cette fois et qui pourront repartir, on s’occupe avec une carte à écrire, quelques livres, la télé, la toilette, les médicaments et aussi nous, les bénévoles, qui offrons l’écoute à ceux qui veulent parler.
Puis, il y a les autres, les prostrés, qui gémissent parfois, qui respirent à peine, à qui l’on ne peut plus que tenir la main pour dire « je suis là ». Reliés à la vie par un mince fil, ils attendent sans plus rien dire.
Au « -1 », tout est à nu. Le cœur, les tripes. Une main qui touche une autre. Un sourire. Un peu d’eau. Une parole qui apaise.

Merci à Anne-Marie, l’ange de cette première journée aux soins palliatifs.

mardi 23 juin 2009

Le temps de la petite cafetière


Voici venu « le temps de la petite cafetière »
Le temps des petits déjeuners sans toi.
Heureusement, elle a une bonne tête un peu cabossée que j’aime bien,
A défaut de voir la tienne aux yeux gonflés de rêves et de sommeil.

Plutôt que de perdre mon regard dans le tien,
Ce sera vers le ciel et les arbres que je le tournerai.
Ils sont beaux eux aussi…
Leurs chants doux et calmes me berceront
Et qui sait, me donneront des nouvelles de toi ?

Voici venu « le temps de la petite cafetière »,
Qui sifflera sa mélodie caféïnée,
Accompagnée de la clope matinale (merci, sic !).
Ce ne sera plus cette drôle de mélodie, « syncopée » as-tu dit,
Composée de rythmes métaphysiques dès dix heures du mat !

Temps présent, au cœur ballotté,
Avec aussi forces vives et nez à l’aventure,
Est-ce un "au revoir, à bientôt ou adieu" ?
Inch Allah…

vendredi 12 juin 2009

Fondation

D’abord, un léger gémissement et une couleur ; rouge pâle presque rose. Puis, un râle rauque et faible et une crispation dans les mains et les pieds. Des mots : « J’ai peur...je ne veux pas sortir ». Un corps recroquevillé. Maintenant, je vois le petit personnage. Il est nu, vulnérable, dans une marée de rouge et de glaires blanches. Les chairs au tour de lui deviennent des lames coupantes. Il n’ose bouger. Sa seule perspective est de se tenir le plus petit possible, le moins existant possible. L’univers est menace et solitude. Le tréfonds du tréfonds de la vie, avant de naître : la peur d’exister. Docteur Jung, qu’en pensez-vous ?

mercredi 10 juin 2009

Félicie Dumoulin


Sur la place du village, elle sortait une chaise et s’installait sur le seuil de sa maison. Elle nous regardait, nous, les enfants qui jouions et elle souriait de nous voir. Son sourire était tendre et parfois taquin, avec les yeux qui pétillent comme si elle avait le même âge que nous. Elle avait de beaux yeux azurs, clairs et très purs. Elle était bonne comme la vie, comme quand on se sent relié à "plus grand que soi". Elle avait le goût des choses simples : cuisiner un bon repas avec les légumes de son jardin, tenir la maison propre, regarder un film comique à la télé… Une vie réglée comme une horloge, avec des rhumatismes plein le corps qui la faisaient souvent se plaindre des journées de pluie.
Je ne passais pas un jour sans la voir, sans aller grappiller quelques friandises ou un peu de sa cuisine que j’adorais (ah sa mayonnaise! ) mais au fond, que savais-je d’elle ? Etait-elle gaie ? Etait-elle triste ? Se sentait-elle seule de n’avoir pas eu d’enfant et d'avoir été veuve alors qu’elle était encore jeune? Quand elle parlait de son mari, je me souviens qu’une larme perlait dans son regard. Elle avait du l’aimer très fort. En tout cas, il lui manquait.
Nous, mon plus jeune frère et moi, aimions aller chez elle. C’était doux et chaleureux comme elle, avec parfois un brin de fantaisie aussi. Nous nous faisions du bien mutuellement : nous qui étions un peu ses petits-enfants et elle, un peu notre grand-mère. Mais c’était une époque (ou était-ce dans ma famille ou venant d’elle ? ) où les liens de sang primaient sur les liens de cœur. Une certaine distance devait rester entre nous.
Je l’ai revue des années plus tard. Elle avait du quitter sa maison dont elle ne pouvait plus s’occuper pour rejoindre le home pour personnes âgées du village. Elle devait y connaître tout le monde et c’était tout près de son ancien chez elle et puis il y avait l’église pas loin et une chapelle attenante au home. Car elle était très croyante, amoureuse même : de Jésus. "Bigote" disait mon père, lui, qui avait plutôt fait le choix de la bière pour se consoler.
La dernière fois que je l’ai vue, c’était dans sa petite chambre. Elle avait recréé son univers dans ce 10 m2. Mais quelque chose était brisé en elle. Elle se languissait de partir, plus ardemment encore. Elle se demandait si la mort ne l'avait pas oubliée. Elle me disait aussi « comme tu étais une gentille petite fille» en repensant à ces difficiles années de mon enfance. Nous étions très émues toutes les deux.
Toi aussi, Félicie Dumoulin, tu étais si gentille. Je le mesure à quel point seulement aujourd’hui. J’espère que, même si je n’en avais pas conscience, tu as senti tout l’amour que j’avais pour toi. Alors, je ne pouvais pas dire ces mots-là. Pudeur d'adolescente ? Je devais avoir dix-sept ans et toi nonante.
J’ai un immense chagrin ce soir de repenser à toi et puis je te demande pardon.
J’ai tellement honte de n’être pas venue te faire un dernier adieu lorsque tu as rejoint la terre qui t’avait enfantée. Et d’ailleurs, où étais-tu née ? Où avais-tu grandi ? Et ton mari, où l’avais-tu rencontré et à quel âge ? Etait-il gentil avec toi ? J'ai juste en mémoire une photo de toi, tu étais adolescente: tu apportais le lait aux gens dans le village avec une charrette et un grand chien blanc qui la tirait. C'était une autre époque !
Vois, je ne sais pas grand-chose de ton histoire mais j’ai bien connu ton cœur et la douceur de ta peau, comme celle d’une pêche. Je ne m’inquiète pas pour toi tant si grand était ton désir d’aller rejoindre l’au-delà. Je t’accompagne un instant là où tu es, si chère, si tendre, si aimée Félicie Dumoulin.

samedi 9 mai 2009

Invisibles fils

Chaque seconde m’engloutit. J’attends. A six ans, je devrai être couchée, en sécurité dans mon lit. Il est plus de minuit, pourtant je veille, bien incapable de faire autre chose que d’attendre le retour de mes parents du café où ils sont allés depuis de trop longues heures. Leur arrivée sera probablement fracassante, nimbée d’alcool et de violence. Mais alors je serai délivrée du charme qui me tient immobile à la fenêtre tel un scaphandre qui se balance au bout d’une corde au-dessus du vide. Pour l’instant, je ne suis que vide, abandon, souffrance. Je sanglote par soubresauts avec quelques larmes arides. Mon sentiment d’insécurité est intense au point que seuls reste leur absence et les lumières de la nuit sur la place du village que je regarde fixement. J’entrevois un instant le risque de la folie, de ne jamais revenir de la prostration dans laquelle je me raccroche comme à une barre de navire à la dérive. Je ne sais plus rien de qui je suis. J’ai la vague sensation de ne plus exister. Juste une prière en dedans comme un mantra qui transperce le silence : « Revenez s’il vous plaît. » Alors j’existerai à nouveau. Je reprendrai enfin pied dans le réel peu importe ce qu’il offre. Je percevrai à nouveau mon souffle. Je pourrai reprendre mes lancinantes et secrètes questions « Malgré tous mes efforts, pourquoi ne m’aimez-vous pas ? Ne suis-je pas aimable ? »
Du haut de mes six ans, ma vie ne tient qu’à ces invisibles fils.

lundi 4 mai 2009

Conversation


Le plus souvent, entre adultes, la conversation est le lieu de rencontre de forces inconscientes. Il est question de se dire, de prouver, d’être quelqu’un d’aimable, d’acceptable. Plus rarement, la conversation est reconnaissance de l’autre et d’un soi agrandit. Ecoute et partage aussi. Intimité.
Converser avec un arbre, c’est autrement.
D’abord, se poser, en lui ayant demandé s’il accepte une présence à ses côtés. Faire silence, prendre le temps, écouter, créer en soi un espace d’accueil. Laisser venir le « rien vouloir » parmi les oiseaux qui pépient et le vent qui glisse dans les feuilles. Puis mystère…Qui parle à qui ? Juste quelques mots. Une certitude : ils sont justes, nécessaires. L’imprévisibilité de leur venue quelques secondes plus tôt leur donne une aura quasi magique. Révélation. Et puis c’est tout. A nouveau, les oiseaux, le vent qui accompagnent le silence. Les mots tracent un chemin à l’intérieur.Vient le moment de se quitter. Enlacement et merci du plus profond de soi.
Cette rencontre m’accompagne tout au long du chemin (de la vie).

lundi 27 avril 2009

Désossement

M’aime-t-il ? Va-t-il m’aimer ? Suis-je aimable ?
L’enfant, dans sa grâce d’être, goûte chaque instant comme une éternité. Il « est » car il n’a aucun doute d’être aimable ou aimé. Ne se pose pas pour lui la question de « Qui suis-je ? » : il est.
Nous perdons peu à peu la confiance au fur et à mesure de la découverte de notre individualité. Vient la comparaison, la mise en condition de l’amour reçu.
Selon les « coups durs » de la vie, cette perte est plus ou moins importante. Nous construisons des châteaux de cartes » et avons construit de bric et de broc, des illusions qui sécurisent et puis qui tombent si l’on prend la voie du guerrier qui s’abandonne au flux de la vie. Ni bonnes, ni mauvaises, les expériences lui adviennent, le guerrier les palpe, les embrassent et de cette double direction, abandon et accueil, les châteaux s’écroulent et fracassent le sentiment de faux équilibre.
Petit enfant, ouvert de corps et de cœur. Sujet-objet de jouissance. En lui naissent et puis disparaissent la peur, la joie, la tristesse et la colère. Sans traces. Nulle question en lui de « Qui suis-je ? ». Nul doute de « Suis-je aimable ? ». Confiance absolue en l’amour. La vie le traverses et le baigne dans son bain amoureux. Il est l’être sans ego.
Ces parents desquels il se sent joint, sont tels des Dieux pour lui. Et puis vient un jour où naît la blessure : les Dieux mettent conditions à leur amour. En fait, ils l’avaient déjà fait mais l’enfant ne l’avait pas perçu. Lorsqu’il le voit vient la blessure. Naissance de la faille, qu’il colmatera psychiquement : naissance de la première façade de protection de son être. Ainsi grandira-t-il de façade en façade et ainsi deviendra-t-il homme, névrosé, perclus de couche et de couche de colmatage, de refuges divers pour maintenir l’édifice fragile et illusoire de sa psyché. Son corps lui aussi temporisera les blessures. L’un ne va pas sans l’autre. Nulle séparation.
Le chamanisme, le yoga, je peux les reconnaître comme techniques chirurgicales afin de faire le chemin inverse de « décolmatage » de l’être. Chacune des couches inscrites subira une désintégration avec comme conséquence, sentiment de déséquilibre et deuil jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint. Qui sera à son tour démantelé, désossé. Le réel sera de plus en plus perceptible. L’être de plus en plus perceptible. Peu à peu, l’ego cède la place au vrai maître.

lundi 20 avril 2009

Infinie tristesse

J’ai eu terriblement peur qu’il tue ma maman. Qu’elle meure, là, tout à côté, a été pour moi un choc terrifiant. J’avais reçu en héritage tout son spectre dépressif et je me sentais très fort connectée à elle. Suis-je morte alors pour l’accompagner ? Je me souviens du lendemain de cette terrible nuit. Je me sentais vidée de l’intérieur. Durant la matinée, je crois que je n’ai fait que pleurer. Je suis revenue de l’école sur le temps de midi. Je suis entrée dans la maison, tout était sombre. Je ne me souviens que d’elle, comme d’un phare au milieu du brouillard qu’était devenue ma vie. Elle était assise devant la table de la cuisine. Elle pleurait, son visage était tuméfié de coups. Je sentais mon propre visage tout abîmé comme si moi aussi, j’avais reçu les coups de mon père. Il nous fallait partir, nous ne pouvions rester dans la maison. Elle a sursauté en me voyant avancer vers elle. Je voulais la consoler, qu’elle me console, que nous pleurions ensemble ce malheur qui s’était abattu sur nous. Elle a détourné le visage. Elle avait honte et sa honte m’a pétrifiée sur place comme si elle dressait un barrage entre elle et moi. A cet instant, la possibilité de la consolation s’est évanouie. J’avais honte moi aussi de cette idée que j’avais eue. Elle a juste dit la gorge nouée de larmes « Ce n’est rien, ça va passer. » Mon cœur s’est mis à saigner de chagrin. Je suis devenue inconsolable. A partir de là, je ne me souviens plus de rien. Nous avons du reprendre une vie « normale », c'est-à-dire une vie en demi-teinte, faite de repas, de coucher et surtout, surtout, d’une chape de silence sur ce qui s’était passé. Je me suis sentie terriblement seule, isolée parmi les autres. Le phare, dans le brouillard, s’est noyé. Je ne me souviens plus d’avoir pleuré devant aucun de ma famille. Ils n’étaient plus que des ombres et moi, ombre parmi les ombres.
La rage que j’ai pu ressentir vis-à-vis de mon père n’a pas pu apparaître au grand jour et pourtant, elle était bien là. A partir de ce jour s’est installée dans ma vitalité, l’impuissance et peu à peu la résignation. Il fallait me soumettre, ne plus exister en vrai et porter sur le visage le masque du « comme si de rien n’était. »
La vraie Nadine avait disparu et ne restait que la fausse au masque gentil et volontiers sympathique. Une petite fille pâle et joviale qui semblait « bien aller ». Mais je doute que, pour qui y aurait regardé de plus près, il n’ait vu dans mon visage deux yeux porteurs d’une infinie tristesse.

dimanche 12 avril 2009

Requiem

L’humanité finira dans un dépotoir
Dans un cercueil de détritus.
Certains auront la panse pleine
Sans l’ombre d’une pensée sereine
Juste quelques rots suivi d’un pet
Qui signera leur fin de goret.

Faim, certains l’ont toujours eu
Comme seul et unique bien.
Ces gueux portaient la voix parfois,
Ô misère, pour réclamer leur dû.

Du haut de son piédestal et des ses incessantes chimères,
L’homme est tombé.
Dame Nature, victorieuse
N’en a fait qu’une bouchée.

Il se croyait si fort pourtant !
Seul pourvu de l’organe de divine compréhension :
Le néocortex frontal… Sorte de Mazeratti
Super bolide qui faisait sa fierté
Qui d’un seul coup l’a envoyé valser
Et l’a foutu dans un beau pétrin.

Oxymoron funeste
Voici venu le temps
De la belle mort de l’homme,
La belle affaire !
Je connais plus d’un animal
Qui, s’il en avait, ne verserait de larmes.
Toute la création sera enfin délivrée du sombre chemin
Qui la conduisait à l’abattoir et même au camp de concentration
Au nom de leur non-humanité
Sommé d’être pour lui, objet de consommation.

Tout en l’homme n’était pas mauvais et de loin,
L’amour, il le ressentait, le partageait
Et parfois le faisait de si belles manières,
Que des feux par milliers s’éblouissaient sans artifices
Et donnaient aux anges des frissons de délice.

Le petit d’homme était aussi remarquable
Avec son cœur naïf qui palpitait d’extase
A la vue d’une rose fraîchement éclose et au parfum de Paradis.
Il en avait gardé le goût sur la langue.
Et de ce savoir, il aurait pu en faire le Paradis sur Terre.

Mais on lui a donné des mots, tels que :
Avidité, loi de la jungle, compétitivité.
Il a quitté l'innocence de « chat perché »
Et préféré celui du très grand méchant loup jamais rassasié.

L’homme tire sa révérence
Laissant sa petite planète en grande déserrance
Elle s’en remettra, c’est sûr et pansera ses plaies.

Puis dans quelques millions d’années,
Du sablier du temps émergera
Une nouvelle forme d’humanité.
Plus sage peut-être…?

Orchestre de l’univers chante à l'homme un dernier requiem
Et que Dieu lui pardonne
Il a fait ce qu'il a pu…

samedi 4 avril 2009

La maison de mon enfance

Je pénètre dans la maison. Plein de souvenirs fantômes surgissent. La porte du frigo à côté du magasin. Les étagères devant lesquelles je me tenais et puis mon père qui me tendait les plats pour que je les dispose chacun à l’endroit approprié. En moi alors vivait un grand désir d’harmonie. Chaque chose déposée au bon endroit donnait à mon monde le sentiment de rectitude, de netteté. Ainsi le monde des sentiments et des relations allait trouver sa juste place. Règnerait alors l’harmonie entre chacun. Comme si le monde du petit ordonnait le monde du plus grand, de l’un de ma famille avec l’autre et surtout de mon père avec chacun des autres membres de la famille...
Mon âme de petite fille vivait la peur que sa colère se réveille. Je me sentais écrasée par cette peur. Je vivais en transparence, un masque sur le visage. En moi vivait le plus grand désordre. J’ai perdu les plumes de l’innocence de l’ange en moi.
A côté de là où se trouvait le magasin, il y avait la « belle pièce » où personne n’allait Parfois, dans cette pièce, je faisais les poussières et je passais l’aspirateur. Je me souviens d’un jour où j’avais mis un disque de Claude François et je me balançais à son rythme sur le grand fauteuil de cuir. En face, je voyais mon reflet dans la vitre du buffet. Je me suis regardée intensément et je me suis dit que je me rappellerais toujours de cette image de moi. Et c’est vrai puisque j’en témoignage aujourd’hui. J’avais douze ou treize ans et j’ai senti soudain en moi une grande force qui me dépassait et me transperçait de haut en bas. Mon cœur avait envie de bondir hors de ma poitrine, mon sexe était en feu, mon ventre palpitait et ma tête était très claire et spacieuse. Je n’ai pu témoigner à personne de ce que j’avais vécu et ainsi en était-il pour tous les évènements de ma vie entière. Je gardais tout pour moi et il ne me serait pas venu à l’esprit de m’en plaindre. J’avais toujours vécu ainsi.
Lorsque je suis entrée dans la cuisine, j’ai ressenti une émotion de grande familiarité. J’étais aussi très troublée. Je me sentais si grande en proportion de la petitesse de la pièce. Enfant, elle me semblait gigantesque, pleine de coins et recoins comme si chaque armoire était un univers en soi.
Rien n’avait vraiment changé me suis-je dit quand je suis entrée la minuscule salle de bain. Mais moi, oui, j’avais énormément changé. Tous les souvenirs se sont percutés en un seul, sorte d’épouvantail qui me semblait dérisoire. Il m’était donné de voir le réel en confrontation de mes souvenirs d’enfant. Ainsi ce décor portait les traces de mes drames et ils étaient à la fois si proches comme suintant des murs et à la fois si loin de mon monde d’aujourd’hui.
Etre sans crainte, en sécurité. La toute petite Nadine était comme une éponge. Telle une petite chienne éprise de forêt, de champs et de liberté, j’avais aiguisé mon odorat. Je reniflais le danger qui pouvait surgir. Mon père, alcoolisé chaque soir et plus encore le week-end, était pour moi un ogre imprévisible. Plutôt que de le reconnaître dans un tel personnage au risque de me briser psychiquement en totalité, je vivais « borderline ». Mon monde était peuplé de fantômes. Redoutable était la nuit et ô combien le risque, immense, de m’endormir. Déambulant dans cette maison, je me sentais aussi comme un fantôme car si personne ne me regardait, n’était-ce pas de n’être pas visible ?
Sortie de chez les miens, ma quête incessante, telle une teinte qui colorait tout. Etre vue, reconnue même. Que d’émotions ais-je vécu ensuite sur une scène de théâtre !
Aujourd’hui mes pas me guident vers l’écoute de ceux qui vont partir. Présence totale à l’autre. Ecoute du petit enfant qui aurait tellement voulu dire ?

mercredi 11 mars 2009

L'éveil

Pour chacun de nous, à chaque instant, l’éveil est possible. Et pourtant, nous n’y accédons pas. Pourquoi ? Principalement, il s’agit du fait de l’ignorance. Depuis tous temps et plus encore aujourd’hui, quel cas faisons-nous des enseignements spirituels très vite qualifiés de secte ? Dans quel école nous enseigne t-on le lien qui nous unit au divin ? Où nous apprend-t-on le sacré de la Vie ? Où se trouve l’information que nous ne sommes pas nos pensées et que notre nature véritable est en deçà ou au-delà de celles-ci ? Au lieu de cela, nous nous sommes construit un leurre, une course contre la montre pour « être quelqu’un », pour « nous réaliser », pour amasser des biens et des plaisirs qui colmateront la peur de la mort et de l’inconnu et pour d’autres encore, pour simplement survivre.
Mais il ne s’agit pas uniquement d’ignorance. Cet éveil, à chaque instant présent, est voilé. Il s’agit pour nous, durant notre vie, d’enlever le voile, d’enlever sa cagoule comme le dit Sogyal Rinpoché. Tenus par l’habitude et par les contenus mentaux, le « singe fou » se cogne inlassablement sur les murs de la frustration et de l’impuissance à vivre en paix, durablement satisfait, pleinement heureux d’être.
Dévoilés, décagoulés, nous goûtons à « la nature de l’esprit », que l’on peut autrement nommer le Mental pur. La Grâce nous est donnée, rencontre du Cœur et de l’Esprit. Alors est possible la distinction de ce qu’est « notre vraie identité » de ce qu’elle n’est pas. Car l’ego, qui aime à s’agripper, aura tôt fait de nous perdre dans son labyrinthe.
Alors quid de l’éveil au vu de ses obstacles ?
Certains, nés sous de bons auspices, y accèdent durant leur vie en se consacrant corps et âme aux enseignements d’un maître. Pour d’autres, la mort, où s’offre toute nue « la nature de l’esprit », est une voie d’éveil. A la seule condition d’en avoir eu l’avant goût durant cette vie. Une autre possibilité, comme en témoignent certains maîtres occidentaux actuels, est la dépression, qui a si souvent mauvaise presse. Ainsi Eckhart Tolle et Katie Byron ont connu de longues années de souffrance jusqu’à un moment où « ça s’est réveillé ».
Ainsi l'exemple de Katie, dix années de dépression dont les deux dernières passées dans son lit. Puis un jour : "Il n'y avait pas de moi. C'était comme si quelque chose d'autre s'était éveillé. 'Cela' avait ouvert les yeux. 'Cela' regardait à travers les yeux de Katie. Rien n'était reconnaissable. Et 'cela' était si émerveillé. 'Cela' était ivre de joie. Il n'y avait rien de séparé, rien d'inacceptable pour 'cela'."
Leur expérience me questionne. La souffrance ne serait-elle pas la plus grande porte d’éveil pour l’humanité ? Un monde de plus en plus chaotique n’est-il pas, au fond, l’unique chance de « transmuter » notre espèce et d'assurer son devenir ?

lundi 9 mars 2009

Enfermés ?


Comme des animaux dans une cage,
Nous nous surveillons du coin de l’œil,
Feignant de ne pas nous voir.
Mais où sommes-nous enfermés ?
Au-dehors plus qu’au-dedans ?
Dans la rame ou dans nos cœurs ?
Dans le métro, l’indifférence et la peur,
Peuvent régner en maîtres.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer
Que les mêmes humains sur une île déserte
Ou sur un chemin de campagne
Se délecteraient de leur rencontre
Comme d’un fruit mûr très goûteux.
Mais perdus dans la multitude,
Qu’en est-il de la réjouissance d’être ensemble ?
La solution serait-elle d’être moins nombreux ?
Mais comment faire sinon tirer à pile ou face
Afin de décider qui reste et qui part ?
Ou alors…
Cesser de vouloir un monde meilleur ?
Avec le cœur, accueillir le monde qui est là,
D'apparence imparfait et violent,
Et être surpris par sa beauté ?

jeudi 5 mars 2009

Histoire vraie.

Un homme, enterré vivant par accident, s'est suicidé dimanche dernier à Verviers, en se jetant par la fenêtre du 2ème étage de la clinique où il se faisait soigner. Le médecin a donné comme explication possible à cet acte funeste "le fait que cet homme aurait eu une crise de souffrance extrême, malgré la morphine qui lui avait été administrée pour calmer ses souffrances".

lundi 2 mars 2009

Une non-histoire.


Parfois, ça va si vite en moi.
Comme une fusée,
Je me sens prête à crever le ciel.
Explosion de chair
Qui se dilue dans l’espace silencieux
Puis retombe.
Un tyrannosaure écrase les morceaux éparpillés
Sur le carrelage de la cuisine.
Scratch !
Le sang gicle
Sur les murs blancs cliniques.
Une coulée vermeille s’écoule
Amoureusement
Sur le carreau de la fenêtre.
Dehors, la pluie se déprime
De sa propre existence.
Chaque seconde est une éternité …

lundi 16 février 2009

Slam pour l'ami(e) II

Tu l’as vu, qui se déroule,
Qui déboule continu,
A côté, pas dedans, rien n’à voir,
Juste des mots, des morts-nés,
Des pensées, qui n’en font qu’à leur tête,
Laisse tomber !

Le filou, le brigand,
L’imagine erre non-stop
Sans souci, jour et nuit,
Garanti, t’es la star d’Hollywood
Qui never ne s’ennuie.

Laisse tomber putréfiées
Les armures qu’on s’bricole
Car c’est nu, peau à peau.
Que l’amour on le fait.
Sensations au portique
Et qui s’y frotte, s’y pique,
Voluptés du Réel au topic !

Le train-train est parti.
Un enfant, tu deviens
Et tu goûtes et tu vis
Dans la bouche un brin d’paille.
Chaque instant est créé
Le lend’main ça s’pense pas.
C’est trop loin et fini
Les programmes insensés!

Délivré du singe fou
Qui t’prenait en tenaille,
Te voilà frémissant,
D’la vie pure en bataille.
Expulsé hors d’ ton monde
Casino autarcique,
Sens en fête, c’est ripailles,
Sans discours qui te niquent.

Aux racines de ton souffle,
Laisse ton corps te parler
Des mystères qui s’dévoilent.
Ds l’silence, en secret.
Peu à peu tout se calme
L’charme opère,
Tu désarmes,
Les requins sont partis
Détendu, tu souris.

dimanche 15 février 2009

Slam pour l'ami(e)

Ami(e), laisse tomber le flot insensé de toutes tes pensées.
Elles n’en font qu’à leur tête, sans doutes ni cœur à déclarer.
Si t’essaies de les suivre ou de les contrôler,
C’est sûr que tu vas tomber raide, type ensorcelé(e).

Descends du haut de ton imaginaire qui, le filou, s’est construit
Des relais cinq étoiles, qui brillent non-stop jour et nuit,
Ersatzs d’Hollywood où quelle chance, c’est garanti,
Tu serais pour toujours adulée, la big star, qui jamais ne s’ennuie.

Laisse tomber l’écorce putréfiée de l’armure des mots
Car c’est nu que l’amour se fait, peau tout contre peau.
Wiz dear Réel, sensations au portique
Et qui s’y frotte, s’y pique de voluptés au topic.

Comme un enfant, sois sans lendemain.
L’instant peut tout te donner, s’en est fini du train-train.
Cul dans l’herbe fraîche, dans la bouche un brin d’paille,
Désormais s’ra l’unique programme, sans toc et sans failles.

Délivré du singe fou qui te prenait en tenaille,
Te voilà frémissant, tous sens en bataille.
Hors de ton super casino ultra monologué,
La vie pure s’invite aux ripailles de la fin des discours insensés.

Aux racines de ton souffle, laisse ton corps te parler
Des mystères qui, peu à peu, se laissent dévoiler.
Détendu dans le silence de ton esprit calme et serein
Le charme opère au rythme secret, tu verras, c’est divin.

mercredi 11 février 2009

Pas de quoi...


Pas de quoi s’apitoyer
Rien que sentir mon cœur un peu fendillé
De tous ces mots mal embarqués

Pas de quoi fouetter un chat
Juste que la vie fouette lourd parfois
Ça laisse des traces même si on les voit pas

Pas de quoi en faire une maladie
Ni d’en vouloir à l’autre qui blesse
D’avoir été lui même blessé de nos maladresses

Pas de quoi être rabat-joie
La petite musique est toujours là
Au creux des ciels qui changent sans cesse

Pas de quoi pointer du doigt
Ce mental, drôle d’engin qui me laisse sans voix
Et qui turbine sans foi ni loi faute de savoir pourquoi

Pas de quoi hurler de désespoir
Plutôt être là, bercée par lune
Présente au silence dans le creux du soir

Pas de quoi en faire un fromage
La fatalité n’est pas ma religion
Avancer sans appui tel est ma dévotion

Pas de quoi saisir, vouloir ou prendre
N’ais-je pas vu le grand schéma
Qui me fait dire que je ne choisis pas ?

Pas de quoi se ronger le foie
Accepter d’être ce petit pois
Encore et toujours bleu de toi

vendredi 30 janvier 2009

Nuage zen


Il était une fois un nuage, clair et doux comme de la ouate. On l’appelle Nuage zen. Au rythme nonchalant du vent, il flotte. La nuit, dans le silence, il s’émerveille de la beauté de la lune. Ainsi va sa vie, au bonheur des hasards, tout autour de la terre. Aujourd’hui, le ciel est azuré. Le soleil le chatouille gentiment. Une journée parfaite. Mais que se passe-t-il tout en bas, sur la terre ? Il salue un petit garçon, qui pointe son nez pour le regarder. Puis une libellule au bord d’une mare et une fleur violette qui se rafraîchit au passage de son ombre. Il se sent bien, tout est paisible jusqu’à ce que surgissent d’autres congénères, épais, noir et lourds. Leur voix gronde autour de lui. « Va-t-en petit, nous sommes en colère et nous allons nous déchaîner dans pas longtemps. Allez dégage !». Tête de mule, courageux et surtout toujours profondément zen, il décide de rester et de suivre les évènements. Le ciel s’obscurcit. On n’y voit plus gouttes ! Les balourds se bousculent s’entremêlent, s’enchevêtrent, s’emberlificotent. Le vent, lâche ses tourbillons, gagné par la rage de ces querelleurs. Comme annoncé, ça se déchaîne à qui mieux mieux. Un éclair ! Un coup de tonnerre ! Nuage zen spirale, roule et tourneboule sur lui-même et il se dit « C’est trop rigolo !». A ce moment, une rafale énorme l’emporte à l’écart, en sécurité. Il était temps ! Un crac assourdissant donne le signal. D’un coup, la masse sombre des nuages perce, déchirant leur ventre. Ils hurlent de rage. Plus rien ne résiste là dessous. Nuage zen voit des hommes et des femmes et aussi des chats et des oiseaux qui courent et volent pour fuir le désastre. C’est le chaos ! La rivière déborde, des toitures sont arrachées, des arbres sont déracinés, des voitures emportées. Et soudain, un éclair déchire le ciel suivi d’un grondement d’une puissance inégalée, la foudre frappe un grand chêne qui trônait dans un champ de blé. Ca dure longtemps, une éternité, semble-t-il à Nuage zen. Le vieux chêne est gravement touché, mais il résistera à l’assaut. Pour les gros nuages s’en est assez, c’est le coup final. Satisfaits, ils s’éloignent et dégagent enfin les lieux. Un coin de ciel bleu ! Sur la terre toute chamboulée, on se secoue, on se soigne, on respire à nouveau. Les dégâts sont énormes. Il faudra reconstruire mais le cauchemar est fini. Nuage zen soupire. Il a vécu une sacrée expérience et il se souviendra longtemps de ce destructeur et fascinant spectacle. Il reprend sa place dans le ciel limpide. «Oh le joli papillon !» Ebloui par ses ravissantes couleurs, Nuage zen le regarde qui s’approche et lui demande « Tu viens danser avec moi ? »

*Merci à Youri.

lundi 26 janvier 2009

Techno !


Décor de bunker. Dix mille clubbers sur le béton. Visages blaffards. Addictions diverses. La grande messe peut commencer. Beum, beum, beum, beum, beum (à lire très vite!).
Le cœur encaisse. Le pulse frappe. Les pieds battent le sol. Mise en marche de la machine technoïde. Un maître du genre à la console : Jeff Mills. Vlam ! Le corps s’enflamme. Surf sur la vague du rythme. Yeux clos, embrasement des neurones. Plus de résistance. La substance du corps s’écoule dans la défonce du son, qui pénètre le ventre, la tête, les mains. Chaque millimètre d’espace est le son, le rythme, le pulse. Extase vibratoire.
Deux heures plus tard, T-shirt mouillé, toute cassée mais sourire aux lèvres, je rêve d’un « bon reggae bien cool »…

lundi 19 janvier 2009

La clé


Je regarde ce dimanche le débat de « Mise au point » à la rtbf, consacré aux évènements meurtriers dans la Bande de Gaza, « Israël-Palestine : l’impossible paix ? » Une phrase me frappe : « Il faut raison garder et mettre de côté, les passions » dira un analyste alors que les différents points de vue israéliens et palestiniens s’affrontent. Vieux débat de la raison et des sentiments. Mais de quel raison et de quels sentiments s’agit-il ? De la raison qui divise et que guide le plus souvent des intérêts égoïstes ou de celle qui se déploie au nom de la compréhension d’une souffrance partagée qui se doit de cesser ? Des sentiments de haine, de colère et d’amertume ou des sentiments venus d’un cœur qui unit au nom de la fraternité humaine ?
Il était frappant d’entendre qu’Israël justifie ses crimes atroces au nom de sa propre sécurité. Pays démocratique, à la puissance armée dominante dans la région, il porte en outre le poids d’une domination économique. Il est de loin le plus fort et pourtant son discours est celui de la victime. La Palestine réclame tout autant ce titre, à juste droit. Car le fond du problème est historique : voici 42 ans déjà, qu’Israël s’est créé sur le sol d’un peuple qui était là depuis des siècles. Avec l’accord des puissances occidentales.
« Pardon », voici, je le crois, le mot clé qui peut résoudre cette guerre. Le « Pardon » que demanderait Israël au peuple palestinien d’avoir pris ses terres, pour des raisons louables, certes, mais au prix d’une violence énorme. Ainsi le puissant poserait le genou, humblement, et la victime se sentirait reconnue dans sa douleur. Il semble que ce scénario est loin de se réaliser actuellement. L’escalade de haine se poursuit, de générations en générations.
Mais qui a intérêt que cela se poursuive ? Comme le remarquait un collègue rtbf, tout le monde déplore et condamne ces sinistres évènements, dont la Belgique. Mais la FN ne continue-t-elle pas à fabriquer des armes ? A qui les revend-elle ? Vertigineux, non ?
Alors, vraiment, faut-il "raison garder" ?

samedi 17 janvier 2009

Le germe de l'amour.


J’aperçois ta petite tête, pâle, duveteuse et vulnérable comme un chaton.
Coule en moi la joie de te savoir vivante, chante mon âme de te connaître enfin.
Il y a pourtant peu de temps que je connais ton existence en mon cœur, tant d’amples désastres en son sein, d’amertume, de colère et de peur, étaient charriés et brassés par une blessure si lente à cicatriser.
Mais les larmes versées ont libéré ton désir de gagner le jour de mon regard intérieur, ébahi déjà de pressentir ta beauté.
Te voici, aujourd’hui et à venir, exposée à cette lumière que tu espérais depuis des temps si lointains.
Tu es encore fragile et pourtant riche d’une force que t’ont donné, paradoxalement, les sombres profondeurs de la douleur.
Je rêve de toi et t’imagine fraîche et cristalline, au parfum étrange du secret que tu gardes.
De ma part, point trop d’impatience, je le sais, ni trop d’exaltation.
Ta délicatesse ne pourrait le supporter.
Ta fine texture n’y survivrait pas.
Je vais prendre soin de toi, veiller à ta croissance et te défendre des voix sournoises et envoûtées auxquelles je me suis trop longtemps laissée prendre.
Pousse, pousse, petite, le temps immuable de l’amour se lève à l’horizon.

mardi 13 janvier 2009

L'acceptation


L’acceptation, c’est entrevoir le monde en creux, du côté du féminin. La frontière est mince qui la sépare de la résignation. L’attitude intérieure sera pourtant très différente : la paix en lieu et place du refoulement.
L’acceptation est une vertu passive, non reconnue dans notre société à double message « Obéis mais affirme-toi dans les limites de la norme ! ». La difficulté est plus grande encore, me semble-t-il, pour les femmes d’aujourd’hui. Ayant connu des siècles de soumission, les femmes se doivent toujours d’être douce et compréhensive. Par ailleurs, la société nous bombarde de messages pour être plus créatives et productives. La passivité est mal vue, le mou insupportable, la détente refoulée. « Cachez ce gouffre sombre, cette noire caverne, cette apparence de mort que je ne peux supporter ».
L’acceptation n’est pourtant pas dénuée d’actions. Il s’agit plutôt de reconnaître et d’accepter le désir de l’autre sans que naisse impérieusement le désir d’affirmer le sien. Sans jamais l’affirmer ? Non pas. Une relation équilibrée entre soi et l’autre, entre soi et le monde sera faite d’un subtil et mouvant équilibre d’acceptation et d’affirmation de soi, son pôle masculin. « Tu affirmes ton désir, je le reconnais et je l’accepte ». Première vague de l’échange. Puis viendra « J’affirme mon désir, tu l’acceptes et le reconnais ». Deuxième vague et ainsi de suite.
Je prendrai pour exemple illustratif, la vie d’Elisabeth Kübler-Ross qui, auprès des mourants, se mettait en position d’écoute active, en position d’acceptation et non d’affirmation car que peut-on affirmer à une personne mourante ? Ensuite, riche de ces rencontres en tant que témoin, elle s’engageait dans le monde et transmettait son savoir faire et surtout son savoir être via des livres, des conférences et des stages. Bel exemple de sensibilité et de courage alors que si souvent, les médecins (pas tous, heureusement !) ont cette fâcheuse tendance d'affirmer sans toujours écouter ce que le patient(!) lui dit ou voudrait lui dire et ne lui dit pas mais qui transparaît par bien des signes.
Fameuse destinée que celle d’Elisabeth Kübler-Ross qui toute sa vie fut portée aux nues par ses nombreux fans autant que traînée dans la boue par ses, aussi nombreux, détracteurs. Savoir être dans l’acceptation n’est pas la voie la plus confortable dans notre monde sauvage.

mercredi 7 janvier 2009

Mémoire

Alors que je traversais une plaine aride et sèche, balayée du vent glacial de la solitude et qu’en mon cœur, je cherchais quelque consolation, il me vint un goût de nostalgie, un chant doux composé de notes tendres et affectueuses. Et une image, celle de femmes ou d’une seule, la plus chère à mon cœur, qui me tient dans ses bras et berce mon chagrin. Cette nostalgie est celle que porte ma mémoire d’un temps où nous vivions en tribu. Une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants, je suis parmi eux. Tous réunis par le destin et unis pour parcourir ce temps de vie qui nous est donné. Ensemble. Pour partager joie et chagrin, pour souffrir lors des moments difficiles ou pour se réjouir d’un évènement heureux. Pour joindre nos rêves, pour chanter et danser lors des nuits consacrées aux Dieux. Pour vivre les moments de rites de mariage ou de deuil. Pour recevoir notre nom que le chaman délivre et qu’il a reçu au plus intime de sa relation avec la terre et le ciel.

Mais je suis là, dans ma chambrette, dans un monde atomisé, un monde où l’on n’ose plus penser l’avenir, faute de se souvenir du passé et de savourer l’éternel présent. Le temps de la mémoire reviendra-t-il au coeur des hommes ? L’Ange dépose un baiser sur mon front … « Tu n’as rien à craindre » murmure-t-il à mon oreille.