
L’ogre
Il est dans le fond de la salle où se déroule un spectacle des enfants de l’école communale. Il se tient à l’écart. Assis, tranquille, il sirote une bière. Ca, c’est ce que l’on peut voir de lui à l’extérieur. A l’intérieur, son corps est tendu à la recherche d’une proie.
Il est l’ogre, l’homme sans cœur, ni conscience. Il est le psychopathe sanguinaire. La violence qu’il ressent jusqu’au bout de ses doigts lui donne envie de tuer, d’enfoncer une lame dans un corps tendre. Cette pensée lui donne un avant-goût de jouissance. Il doit le faire. La tension est trop forte. L’appel du meurtre le tenaille. Et puis, la victime ne le réclame-t-elle pas ? Il a vu dans les yeux de certaines, combien elles avaient désiré l’annihilation d’elle-même. Il a vu dans leur regard la peur mais aussi le soulagement, voire de l’amour. L’amour ça le fait gerber. C’est mou, c’est baveux, ça réclame. Sa femme, il la mate. Il lui impose sa loi. Sa soumission est seule requise.
Il attend. L’union par la mort et le sacrifice s’avance. Il sait que la prochaine petite garce va le reconnaître. Elle va frissonner, tressaillir et sa peau dégagera un parfum qu’il repère entre tous. Le parfum de l’effroi. Alors, il n’aura plus qu’à tendre son piège, à l’attirer vers lui comme un papillon de nuit vers la lumière. Alors, il crèvera ses yeux et les noces au sein des ténèbres s’accompliront.
La folle
Dans la salle nickel blanche de l’institut, elle bave. Ses yeux sont fermés, sa tête est penchée vers l’avant. Elle est debout et ses mains recroquevillées dessinent des formes dans l’espace, danse mystérieuse au sein du silence. De temps en temps, elle éructe quelques sons. En elle, il y a des vagues qui la font tanguer. Là voilà qui pleure à petits soubresauts. Puis elle se balance. Elle sent le haut de sa tête prête à éclater et c’est vide dans son ventre, juste sa tête douloureuse comme resserrée par un étau. La lutte s’engage contre cette voix qui la traite de pute, de conne, de déchet de l’humanité. La haine d’elle-même l’engloutit comme un galet emporté par la force de la mer. Son souffle se fait lourd. Elle le crache chargé de violence et d’envie de détruire. Elle se sent submergée par un brouillard dense qui l’étouffe. Alors, elle tente de l’extraire d’elle-même. Elle dit les mots haineux de la voix qui parle en elle. Ces mots sortent d’elle mais ne la soulagent pas. De rage et d’impuissance, elle pleure à nouveau. Elle souhaite mourir et appelle l’ogre qui la délivrera de son cauchemar.
L’enfant
L’ogre au couteau lui rappelle quelque chose. Un endroit dans la maison. C’est le magasin, la pièce de l’ogre où défilent des clients venus se repaîtrent à bon marché de leur lot de cadavres animaux. Quand vient la nuit, les paroles de la journée se déposent, viennent le silence et les ténèbres glacées qui enveloppent les couteaux et la hache bien rangés et lavés de leur sang sur l’établis où se tient l’ogre durant le jour.
Elle est dans son lit. Elle a peur de l’ogre qui pourrait venir mais elle a aussi peur de s’endormir. Des êtres maléfiques l’attendent dans son sommeil. Toujours ce même rêve : elle est dans la cave, attachée à des chaînes comme un chien. Comme lui, elle geint. Elle se sent comme un déchet, sale, moins que rien. Il fait très sombre mais elle sent qu’elle n’est pas seule. Des ombres s’approchent doucement d’elle. Elle se réveille toujours avant de les voir et de savoir ce qu’ils lui veulent.
Son corps est tendu. Elle tourne et se retourne dans les draps. Elle guette le moindre bruit. Tout à l’heure, ce seront les pas de l’ogre qui monte l’escalier. Peut-être ce sera cette nuit qu’il l’emportera jusqu’à la pièce aux couteaux ? Là, il la couchera. Elle ne dira rien. Elle sera pétrifiée par la terreur. D’une de ses grosses mains, il la maintiendra et de l’autre, il choisira d’un œil expert le couteau le plus tranchant. Il y aura le son de la lame qui s’enfonce dans son corps. La douleur surgira mais elle le sait, elle sera aussi soulagée d’être délivrée de la peur, délivrée de la vie. Elle s’évanouira dans cette étrange impression et lui accomplira sa besogne d’ogre. Il la désossera et suspendra sa chair aux crochets du frigo. Le sacrifice sera accomplit.
3 commentaires:
Difficile de décrire l'intensité d'émotion qui me surprend à la juxtaposition de ces trois personnages. Une chose est certaine à mes yeux toutefois : une âme complète est au moins constitué de ces trois polarités, idéalement à part égales. L'intensité des descriptions me signale la profondeur de ton identification à chacun de ces trois personnages, et de la part de jouissance que tu ressens à les mimer chacun dans ton imaginaire. La difficulté consiste à jouir simultanément d'être les trois, car leur excès à chacun ne vient pas de leur nature propre, mais du fait que, dans le champ unitaire de l'Identité, ils apparaissent comme trois polarités distinctes. Seul l'organe mental qui décrète l'exclusivité : "je suis ceci, je ne suis pas cela" pose un problème à l'intégration des contraires.
Mon corps tremble de ce que tu dis là. C'est une fameuse perspective...
Pô évident ... Mais la paix des peuples (intérieurs & extérieurs) est à ce prix (je pense).
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