J’ai eu terriblement peur qu’il tue ma maman. Qu’elle meure, là, tout à côté, a été pour moi un choc terrifiant. J’avais reçu en héritage tout son spectre dépressif et je me sentais très fort connectée à elle. Suis-je morte alors pour l’accompagner ? Je me souviens du lendemain de cette terrible nuit. Je me sentais vidée de l’intérieur. Durant la matinée, je crois que je n’ai fait que pleurer. Je suis revenue de l’école sur le temps de midi. Je suis entrée dans la maison, tout était sombre. Je ne me souviens que d’elle, comme d’un phare au milieu du brouillard qu’était devenue ma vie. Elle était assise devant la table de la cuisine. Elle pleurait, son visage était tuméfié de coups. Je sentais mon propre visage tout abîmé comme si moi aussi, j’avais reçu les coups de mon père. Il nous fallait partir, nous ne pouvions rester dans la maison. Elle a sursauté en me voyant avancer vers elle. Je voulais la consoler, qu’elle me console, que nous pleurions ensemble ce malheur qui s’était abattu sur nous. Elle a détourné le visage. Elle avait honte et sa honte m’a pétrifiée sur place comme si elle dressait un barrage entre elle et moi. A cet instant, la possibilité de la consolation s’est évanouie. J’avais honte moi aussi de cette idée que j’avais eue. Elle a juste dit la gorge nouée de larmes « Ce n’est rien, ça va passer. » Mon cœur s’est mis à saigner de chagrin. Je suis devenue inconsolable. A partir de là, je ne me souviens plus de rien. Nous avons du reprendre une vie « normale », c'est-à-dire une vie en demi-teinte, faite de repas, de coucher et surtout, surtout, d’une chape de silence sur ce qui s’était passé. Je me suis sentie terriblement seule, isolée parmi les autres. Le phare, dans le brouillard, s’est noyé. Je ne me souviens plus d’avoir pleuré devant aucun de ma famille. Ils n’étaient plus que des ombres et moi, ombre parmi les ombres.
La rage que j’ai pu ressentir vis-à-vis de mon père n’a pas pu apparaître au grand jour et pourtant, elle était bien là. A partir de ce jour s’est installée dans ma vitalité, l’impuissance et peu à peu la résignation. Il fallait me soumettre, ne plus exister en vrai et porter sur le visage le masque du « comme si de rien n’était. »
La vraie Nadine avait disparu et ne restait que la fausse au masque gentil et volontiers sympathique. Une petite fille pâle et joviale qui semblait « bien aller ». Mais je doute que, pour qui y aurait regardé de plus près, il n’ait vu dans mon visage deux yeux porteurs d’une infinie tristesse.
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