lundi 28 juillet 2008

La question

Le métro. Lieu de passage, de rencontres fortuites, de présence et de disparition. Sur le quai, je vois l’un qui se traîne, le regard brisé par la vie. Dans la rame, une autre, qui regarde au loin, perdue dans ses pensées, avec à son poignet un bracelet d’images de Vierge Marie. Près d'elle, debout, un gamin aux basquets argentées et pantalon de training, furieux et agité, l’oreille collée à son portable. A côté de lui, un fonctionnaire des Communautés européennes probablement, genre premier de classe, au costume impeccable, qui discute Deutsche Marks avec sa voisine aux yeux d’acier et à la bouche amère. Brassage d’humanité, tragicomédie faite de masques plus ou moins consentis. Sous jacente, qui suinte, la peur de n’être rien. Je suis comme eux, peut-être un peu plus consciente qu’eux ? Puis vient un papa avec une poussette, dans laquelle une toute petite plante ses yeux limpides comme l’eau des roches dans les miens. Mon cœur s’étreint de cette question qu’elle me pose : « Qui es-tu ? ». Touchée par sa clarté d’être, je mesure combien je suis en exil de cette paix qui émane d’elle. Je détourne mon visage perlé de larmes…

dimanche 20 juillet 2008

Moi je voulais

Moi je voulais, un destin

Qui claque au vent comme un drapeau américain

Une vie style « tout ou rien »

Qui brûle et qui éclabousse tous sur son chemin


Moi je voulais danser, radieuse, comme une étoile dans le sombre firmament

Rêver, debout, des mondes étourdissants

De couleurs qui allument le regard longtemps, longtemps…


Moi je voulais bondir, sauvage, comme le puma sur sa proie

Vibrer au rythme doré d’une harpe dionysiaque

Transpercer la vie comme une flèche suprasonique


Moi je voulais, écarteler mon cœur à des cieux infinis

Connaître la paix immobile de la pierre

Sphérique d’immortalité, totalement, absolument…


Petit tas

Savez-vous que tout là-haut, au-delà de notre ciel, vivent les Anges ?

Quoi qu'il en soit, un beau jour dans les Cieux angéliques, alors que jusqu’alors régnait l’Harmonie, ce fut le grand désordre, le Chaos. D’abord le téléguidage intérieur des anges se brouilla. On dénombra de forts nombreux accidents à l’atterrissage. Cela les rendaient de très mauvaise humeur. En plus ils se sentaient bizarres. Une nouvelle émotion était apparue dans leur cœur : ils se sentaient seuls, terriblement seuls. Jamais auparavant ils n’avaient ressenti la Solitude.

Chaque ange portait une seule signature, une seule couleur qui lui était propre. Comme ils étaient des milliers, chacun portait une nuance subtilement différente de celle d’un autre. C’était un très joli spectacle à voir que cette myriade colorée. Toutes les couleurs réunies de chacun créait une lumière blanche, absolument, totalement, blanche et pure et cela depuis la nuit des temps. Or là, quelque chose clochait. Ce nouveau sentiment de solitude, ce creux dans le cœur, leur procurait un manque. Ils ne se sentaient plus unis, ils se sentaient différents. Mais ils ne l’avaient jamais ressenti avant. Avant la Solitude.

« Peut-être manque-t-il l’un de nous ? » suggère d’un air soupçonneux l’Ange détective. « Recomptons-nous afin d’être bien sûr que nous sommes tous là ! » ordonne l’ange de l’ordre. Ils se mirent en file des anges c'est-à-dire en un grand cercle volant, puis l’ange comptable compta. « Tout le monde est bien là ! ». Cette nouvelle les déprima fortement, leur chute fut brutale. Patatra ! Que pouvaient-ils faire ? Soudain, l’ange très ancien se rappela que des anges sans couleur vivaient dans des cieux inférieurs. Alors, chaque ange à son tour, avec précaution se mit à descendre l’échelle angélique. Ils croisèrent un ange blanc perle, un autre gris pâle, encore un autre gris anthracite et ainsi de suite, des milliers d’autres anges sans couleur. Ils descendirent encore et encore jusqu’à des profondeurs de plus en plus opaques et des anges de plus en plus noirs. Puis ils le virent : un ange si noir qu’on le voyait à peine et en plus il dormait ! « Comment ose-t-il dormir ! Un ange, en principe, ne dort jamais, il n’en a vraiment pas besoin étant donné sa constitution de lumière. Et lui, là, le noiraud, il dort et presque il ronronne, un sourire béat sur le visage. » La Communauté des Anges le regarde d’un air sévère. Qui peut-il être ? L’ange ancien se souvint de lui : il s’appelait Inutile ou Raté. Chacune des tâches qu’on lui demandait de faire, il la foirait. Alors on l’avait oublié là, dans son coin et il s’était endormi. Afin de comprendre le pourquoi de son sommeil, les anges accordèrent leur diapason chromatique et tous s’endormirent à leur tour, un sourire béat sur le visage. Ils étaient arrivés dans un monde confortable et lent, doux comme de la ouate. Ils se réveillèrent et ils furent très heureux de cette découverte : dans ce monde là, le sentiment de solitude avait disparu !

Depuis ce jour mémorable, quand un ange voulait quitter la Solitude à laquelle ils s’étaient tous plus ou moins habitués, il descendait l’échelle angélique jusque tout en bas, jusqu’à Petit Tas, (la Communauté lui avait choisi ce nouveau nom, Inutile ou Raté ne convenait plus !). Puis il se lovait contre lui et il s’endormait.

Il paraît que c’est ainsi que les bébés naissent sur terre… Enfin, c’est ce qu’on dit…

samedi 19 juillet 2008

L'ogre

Je regarde mes parents. Ils sont vieux maintenant. L’un vient de vivre un cancer du côlon et l’autre me parle de ses spasmes à l’estomac et aux intestins. Dans leur vie de tous les jours, ils ont les préoccupations petites et minutieuses des gens âgés. Ils ont aussi le temps d’écouter. Je me sens heureuse de pouvoir leur dire qui je suis, en pointillé, moi qui n’en espérait plus tant. Le cœur léger, je rejoins la chambre supplémentaire de leur nouvel appartement si coquet et en même temps, je suis troublée : comment ces gens aujourd’hui si gentils ont-ils pu, à ce point, bouleverser ma vie d’enfant ? Comment ce vieil homme faible a-t-il pu tant m’effrayer ? Mais eux, comment me percevaient-ils lorsque j’étais enfant ? Sensation, sentiment et pensée peuvent séparer d’un gouffre immense ceux qui pourtant vivent dans un même espace.

Mon âme s’obscurcissait d’un voile noir tant était grande ma sensation de vide affectif et sensoriel. J’étais avide de l’amour de ma mère et j’avais tellement peur de mon père et de ses mains, grosses et tâchées du sang des animaux que, jour après jour, il découpait en morceaux. Dans notre maison flottait une odeur âcre et lourde de chair morte, tellement habitués à elle que nous ne la percevions plus. Notre regard ne percevait plus l’univers sanglant dans lequel nous baignions en permanence. Mais c’est dans mes nuits que flottaient de terrifiantes images d’ogre aux yeux rouge sang… Violence réelle, violence fantasmée ? Quelle est la part du réel et de l’imaginaire ? A cette époque, pour moi c’est sûr, la vie tenait plus du cauchemar que du conte de fées.

Aujourd’hui, mes parents sont plus petits que moi et ils ne me font plus peur. Nos yeux entrent en contact, furtivement. De timides « maman »et « papa » s’échappent de mes lèvres pour désigner l’un ou l’autre. Après le deuil, voici que vient une ère nouvelle faite de rencontre véritable. Le voile de mon âme se lève peu à peu et qui sait, demain peut-être, mon cœur s’ouvrira-t-il pour rejoindre le leur ?

Je me souviens… Nous allions souvent au café avec mes parents, à «La boule rouge » qui était, et est encore, très populaire à Verviers. Nous aimions y manger un « croque boum boum », une spécialité de l’endroit : un croque monsieur avec de la sauce bolognaise par-dessus, bonjour la digestion ! Mon père enfilait bière sur bière. Non pas 3 ou 4, mais plutôt 10 ou 15. Son ventre proéminent attestait de leur ingestion. Et bien sûr, il était saoul… La soirée était interminable pour nous, les enfants. Dans la fumée épaisse des vapeurs d’alcool et des fumées de cigarettes, après avoir épuisé le flipper et le juke-box de nos chansons favorites, dont une d’Elton John, une pièce triste au piano que nous faisions semblant de pianoter mon frère et moi, nous gémissions pour rentrer à la maison, affalés sur la banquette, morts de fatigue. Mais nos plaintes n’étaient pas reçues, mon père voguait sur des sentiers alcoolisés où plus rien ni personne ne pouvait le rejoindre. Parfois lui prenait l’envie soudaine d’enlever son pantalon. Autour de lui, ses comparses éméchés le retenaient tout en lâchant de gros rires bien gras de ses envies exhibitionnistes. Pourquoi diable, voulait-il faire cela ? Dans mon univers d’enfant, ce désir relevait du parfait mystère et de l’incompréhension la plus totale. Je rêve d’un jour où, calmement installés dans les fauteuils du salon, nous pourrons rire de ces moments et qu’alors il me dévoile ses secrets. Un jour, peut-être, qui sait ?