dimanche 22 juin 2008

Filiation

Installée près du glou glou de l’eau qui me berce, je ferme les yeux et pose mon livre. L’image de ma mère apparaît. Elle a les bras ouverts, elle sourit. Je me colle tout contre elle. Des larmes glissent sur mes joues, mon cœur fond. Des mots viennent « Pardon de t’avoir tenu à distance » et elle « Pardon de n’avoir pas pu être tendre ». Blessées toutes deux, nous nous consolons. Je savoure la chaleur de son corps, toute pénétrée par la peine et la joie enlacées. Puis vient une autre image, ma mère toujours, mais vieille, amaigrie, abandonnée dans mes bras. Je pressens que cette situation sera réelle et qu’alors, je devrais faire appel à tout mon cœur, à tout mon amour pour elle, avec peut-être mon manque d’enfant qui ressurgira. Le don sans rien attendre en retour sera la seule voie possible.

Je reviens au présent et je pense à ce livre dans lequel Luis Ansa rencontre un chaman qui lui parle de l’eau comme d’une mère et les larmes de Luis ont surgit. Par quel détour parfois certains livres tracent le chemin et nous éclairent ? C’est une grâce et un mystère. Celui-ci est le cadeau qui me dit de ressentir, d’échanger l’avidité du comprendre par la recherche du connaître. Patiemment, la mémoire du monde peut alors frapper à la porte du cœur. Dans ce livre, l’Amour est aussi appelé l’épice. « Son parfum, son goût et sa résonance viendront à toi parce que l’Amour aime passionnément celui qui le cherche au bon endroit et de la bonne manière. » Les temps sont à l’obscurité mais les éclaireurs veillent…

Question de filiation… Au lendemain de la rencontre avec Laïla, la petite fille dont je serai la marraine dorénavant, je me questionne sur la reconnaissance secrète qui se tisse au travers des êtres qui se choisissent. La filiation avec Laïla sera-t-elle réelle ? Elle m’est apparue comme un petite fille au cœur immense mais recouvert d’un bunker de protection. Il y a de quoi se protéger : abandonnée dans un foyer à l’âge de deux ans et demi… Mais j’avoue être un peu déçue de n’avoir pas rencontré une petite fille plus tendre et plus douce. Je ne sais de quelle mémoire survient cette impression qu’à ma mère aussi je faisais peur. Petite Nadine si curieuse et si pleine d’intelligence, mais aussi si farouche et dont le cœur, barricadé, voguait à la dérive, au grand large de toutes tentatives d’approche.

Je ne me souviens pas…d’un seul moment tendre entre ma mère et moi. Pas un seul. La tendresse je la trouvais dans la campagne où je courais les chemins. Je revenais toute crottée de mes escapades dans les flaques, toute ébouriffée par le foin des fermes. Je humais le parfum des lilas où des muguets sauvages dans la forêt. Je parlais au chien, au cheval, à la coccinelle et au moineau. Me couchais dans les herbes hautes et contemplais le ciel. Je me berçais au bruissement des feuilles des arbres ou des maïs que le vent caressait. Je vivais dans un monde tactile et sensuel et je me sentais libre et délivrée de contraintes et de peurs. Mais il fallait revenir à la maison…dès le seuil franchit, je prenais la position du repli et me réfugiais dans mon monde. Dans le fauteuil de la cuisine, parmi les autres que je ne voyais pas, je me balançais pendant des heures. Plus tard, je me suis trouvée un fauteuil dans le salon où personne n’allait et je chantais et me balançais sur les musiques de Claude François. A dix encore, j’avais une sucette de bébé pour dormir. Un jour, ce fut le drame quand mes parents ne voulurent pas que j’achète une nouvelle pour remplacer celle que j’avais perdue.

A part parfois mon plus jeune frère, ceux de ma famille étaient pour moi des ombres qui pénétraient plus ou moins violemment ma bulle, mon refuge. Je ne rêvais que de fuite… être dehors dans la lumière et plus dans le sombre climat de cette violence que mon père faisait régner et qui m’oppressait.

J’avais ce que l’on appelle un caractère fort. Il fallait me mater « c’est moi le maître ! » disait mon père. Je le maudissais en silence, les joues rougies par l’humiliation de devoir me soumettre à sa force. En guise de résistance, je m’enfermais dans des bouderies interminables. J’avais de violentes colères et je subissais le retour de mes impertinences à coup de claques que distribuaient les grosses mains de mon père. Mais j’étais aussi pleine d’entrain, enjôleuse et volontaire aux corvées. Au village, les vieux vantaient ma politesse. Souriante mais le regard si triste parfois…

Mon seul espoir, l’école. J’étais intelligente et studieuse. J’apprenais sans difficultés. Aucune aide parentale, et pourtant je me tenais sur la plus haute marche du podium de la Classe. A l’école, je pouvais m’épanouir et parler et rire, enfin exister dans le regard des autres. Pour les cancres c’était le bagne. Pour moi, un paradis où les règles sont justes et les adultes prévisibles. Sortie du monde des fantômes, je reprenais couleurs et forme et de même, tout alentour.

Je me souviens de mes années d’école et des chemins de campagne…

lundi 2 juin 2008

Ayahuasca

Voyage chamanique avec l’Ayahuasca. Ca pourrait ressembler à un cirque touristo spirituel sauf qu’il s’agit ici de médecine dans un cadre ultra sécurisé et guidé de main de maître par deux chamans, T. et F.. Voyage sacré de l’âme. J’ai vécu dans la peau d’un puma, plané avec l’aigle, béni la Pachamama, perçu la danse du cosmos pour la réintégrer dans mon corps, ô extase !, où chaque organe est une planète. Je me suis sentie comblée d’amour, les yeux comme des diamants. J’ai vécu la transe du chant et des tambours avec l’énergie conscience qui montait en spirale et me délivrait mille informations à la seconde, ajna chakra en feu, jusqu’à un espace limite où j’ai crû perdre la raison. Tout va bien, je suis de retour … Les jours suivants le premier voyage, l’intégration s’est faite au sein des différentes strates de mon être et la compréhension poursuivie. Lors du second, suite aux intentions exposées lors du passage du bâton avant la cérémonie, à savoir « to known who I am » and «to open my heart » (beaucoup de néerlandophones d’où la langue de Shakespeare), l’Ayahuasca, grâce lui soit rendue, répond par une image qui se révèle et me met en larmes. Celle de mon père et de ma mère, sur ma poitrine, à droite et à gauche, comme me tétant, âmes malades dont j’ai senti inconsciemment la souffrance lors de mon enfance.

Il m’est demandé de conduire mon père lors du passage de sa mort prochaine. Puis d’accompagner la guérison de ma mère et probablement de ma sœur aussi. J’ajoute l’accompagnement affectif de mon neveu, lui aussi abîmé. Lourde mission mais ma propre guérison du cœur est en jeu.

Grâce au pouvoir de l’Ayahuasca, j’ai vu avec grande clarté que mon père portait le poids d’une enfance trahie. Poignardé en plein cœur par son père, il se munira, adulte, du même couteau, pour, ensuite, ne sachant que faire de sa sensibilité blessée, le retourner sur sa propre famille. Ni vu, ni connu. Perpétuation de la meurtrissure.

Ma mère et ma sœur, elles, portent le poids de l’emmurement résignation – dépression, suite d’une lignée blessée de femmes (exploration menée lors d’une constellation familiale). Ma mère m’a appelée par des surnoms, évitant mon prénom et ce que je suis (« oh, toi et ta sensibilité » me dira-t-elle un jour). Moi je ne me souviens pas l’avoir jamais appelée maman.

Ces deux poisons émotionnels, trahison et non-reconnaissance, se sont intégrés en moi avec pour conséquence une tendance dépressive, un sentiment de séparation et de trahison. Ce dernier se manifeste avec acuité dans la relation amoureuse, qui donne à l’autre le pouvoir de me trahir doublé de la croyance qu’il possède la charge de me reconnaître. Or, je choisis un homme libre qui se défend de cette responsabilité non-sienne. Il n’y a pas de hasard…

M’incombe le travail profond et sacré de reprendre mon pouvoir et de me libérer de cette croyance pour vivre pleinement « qui je suis ». Travail de guérison au prix d’accepter d’ouvrir mon coeur sur l’autel de l’indifférence de mes parents.

Je me souviens…d’un jour de kermesse dans le petit village où nous vivions, ma famille et moi. J’ai sept ou huit ans. Les forains ont installé leurs caravanes sur la place de l’église. La boucherie familiale est aussi sur la place. Je suis dans le magasin avec ma mère et mon père saoul qui la menace de sa monstrueuse violence. Je suis en souffrance de sa détresse à elle. Il veut que je m’en aille et je vois ses grosses mains pleines du sang des animaux, prendre de l’argent dans la caisse et me le donner pour que j’aille « m’amuser ». Moi, je ne veux pas quitter ma mère. J’ai peur pour elle. Je pleure et résiste, m’accroche à elle. Mais elle me repousse et se joint à lui pour que je parte, pour me préserver ? Il me faut céder et me voilà, avec, dans les mains, l’argent des jeux souillés et morbides de mes parents, l’argent qui me permet d’aller « m’amuser ». Je me revois encore refermant la porte, fuir le cauchemar en m’élançant, le cœur déchiré, vers les carrousels. J’ai envie de vomir. Un poids de solitude m’étreint. Il me faut faire bonne figure parmi les autres pour vivre les joies de la chenille fantôme et autres auto-tamponneuses. Tout sonne faux sur fond de flonflons et de musique qui hurle à tout berzingue. En pensant à ma mère là-bas avec lui, je me retiens de pleurer. Qui sait quels abîmes se cachent parfois derrière le visage souriant d’un enfant aux yeux tristes?

C'est quoi l'amour ?

Je me souviens… de la petite dame qui vivait à côté de chez nous, Félicie Dumoulin. Elle avait perdu son mari bien des années plus tôt. Ils n’avaient pas eu d’enfants mais elle avait un neveu et une nièce qui venaient la visiter. Je crois qu’elle souffrait de n’avoir pas de famille c’est pourquoi, elle nous accueillait moi et mon plus jeune frère comme si nous étions ses petits enfants. Pour moi, elle était comme ma grand-mère. Ma « réelle » grand-mère, la mère de ma mère, je ne la voyais que peu, lors de visite dans le home où elle vivait. Elle me semblait triste et gémissante et je ne me souviens pas d’attentions particulières de sa part pour nous.

J’aimais beaucoup aller chez Mme Dumoulin par contre, surtout à l’heure des repas. Elle faisait cuire sa viande jusqu’à presque la brûler. Elle me donnait toujours un petit morceau et puis nous faisions des trempettes de pain dans le beurre brûlé, j’adorais ça. Elle préparait toujours une délicieuse laitue, toute fraîche cueillie de son jardin qu’elle accompagnait généreusement d’une mayonnaise faite maison. Quand venait l’heure du repas dans ma famille, je n’avais plus très faim…

Je la revois aussi se baissant, avec son large bassin et ses jambes tordues de rhumatisme, sur ses rangées de pommes de terre. Le jardin embaumait des parfums de toutes les fleurs qu’elle avait semées et aussi des petites haies de gui qui délimitait ses plantations et son jardin du nôtre. Il s’agissait pour moi d’un univers magique, rayonnant de beauté qui ravissait mes sens en éveil.

Souvent, nous logions chez elle, mon frère et moi. Nous regardions ensemble la télévision, la rtb. « Voulez-vous jouer ? » était notre émission favorite : la joie régnait entre nous, que de blagues et de commentaires farfelus ! La pièce était surchauffée par son poêle à charbons et les joues en feu, nous montions nous coucher, avec une bouillotte, dans le lit moelleux et couvert d’épaisses couvertures. Le lendemain, c’était les yeux rouges et la gorge serrée que nous rentrions chez nous, non de l’émotion de la quitter mais de l’allergie aux poils de son chat qui nous avait rejoint pendant la nuit.

Parfois, le dimanche après la messe, elle ouvrait sa bouteille de martini et nous en donnait un petit verre. Un peu saouls, nous faisions alors quelques pas de valse ou de tango. Sa voix chantonnait de vieux airs et nous, les enfants, nous partions en fous rires légèrement alcoolisés.

Et puis j’ai grandi. Nous avons déménagé. J’ai fait ma vie, loin d’elle. De temps en temps, elle nous rejoignait lors d’une fête de famille. Elle parlait de la solitude qui lui pesait, de son envie de partir pour rejoindre Jesus, qu’elle allait prier chaque jour.

Bien des années plus tard, je suis allée la voir avec ma sœur. Elle vivait à son tour dans un home. Elle s’éteignait peu à peu dans sa chambrette avec rien à faire. Nous avons pleuré toutes les deux. Elle, de se souvenir du temps jadis où « j’étais si gentille » et moi, des moments de tendresse vécus près d’elle. Puis elle est morte, peu de temps après…

Aujourd’hui, quand je repense à elle, je revois une dame toute simple, fondante de bonté et d’humeur enjôleuse. Elle a été mon rayon de soleil dans l’enfance gris chagrin, un îlot de résilience. Là où elle est, je lui envoie mille baisers d’amour.