samedi 4 avril 2009

La maison de mon enfance

Je pénètre dans la maison. Plein de souvenirs fantômes surgissent. La porte du frigo à côté du magasin. Les étagères devant lesquelles je me tenais et puis mon père qui me tendait les plats pour que je les dispose chacun à l’endroit approprié. En moi alors vivait un grand désir d’harmonie. Chaque chose déposée au bon endroit donnait à mon monde le sentiment de rectitude, de netteté. Ainsi le monde des sentiments et des relations allait trouver sa juste place. Règnerait alors l’harmonie entre chacun. Comme si le monde du petit ordonnait le monde du plus grand, de l’un de ma famille avec l’autre et surtout de mon père avec chacun des autres membres de la famille...
Mon âme de petite fille vivait la peur que sa colère se réveille. Je me sentais écrasée par cette peur. Je vivais en transparence, un masque sur le visage. En moi vivait le plus grand désordre. J’ai perdu les plumes de l’innocence de l’ange en moi.
A côté de là où se trouvait le magasin, il y avait la « belle pièce » où personne n’allait Parfois, dans cette pièce, je faisais les poussières et je passais l’aspirateur. Je me souviens d’un jour où j’avais mis un disque de Claude François et je me balançais à son rythme sur le grand fauteuil de cuir. En face, je voyais mon reflet dans la vitre du buffet. Je me suis regardée intensément et je me suis dit que je me rappellerais toujours de cette image de moi. Et c’est vrai puisque j’en témoignage aujourd’hui. J’avais douze ou treize ans et j’ai senti soudain en moi une grande force qui me dépassait et me transperçait de haut en bas. Mon cœur avait envie de bondir hors de ma poitrine, mon sexe était en feu, mon ventre palpitait et ma tête était très claire et spacieuse. Je n’ai pu témoigner à personne de ce que j’avais vécu et ainsi en était-il pour tous les évènements de ma vie entière. Je gardais tout pour moi et il ne me serait pas venu à l’esprit de m’en plaindre. J’avais toujours vécu ainsi.
Lorsque je suis entrée dans la cuisine, j’ai ressenti une émotion de grande familiarité. J’étais aussi très troublée. Je me sentais si grande en proportion de la petitesse de la pièce. Enfant, elle me semblait gigantesque, pleine de coins et recoins comme si chaque armoire était un univers en soi.
Rien n’avait vraiment changé me suis-je dit quand je suis entrée la minuscule salle de bain. Mais moi, oui, j’avais énormément changé. Tous les souvenirs se sont percutés en un seul, sorte d’épouvantail qui me semblait dérisoire. Il m’était donné de voir le réel en confrontation de mes souvenirs d’enfant. Ainsi ce décor portait les traces de mes drames et ils étaient à la fois si proches comme suintant des murs et à la fois si loin de mon monde d’aujourd’hui.
Etre sans crainte, en sécurité. La toute petite Nadine était comme une éponge. Telle une petite chienne éprise de forêt, de champs et de liberté, j’avais aiguisé mon odorat. Je reniflais le danger qui pouvait surgir. Mon père, alcoolisé chaque soir et plus encore le week-end, était pour moi un ogre imprévisible. Plutôt que de le reconnaître dans un tel personnage au risque de me briser psychiquement en totalité, je vivais « borderline ». Mon monde était peuplé de fantômes. Redoutable était la nuit et ô combien le risque, immense, de m’endormir. Déambulant dans cette maison, je me sentais aussi comme un fantôme car si personne ne me regardait, n’était-ce pas de n’être pas visible ?
Sortie de chez les miens, ma quête incessante, telle une teinte qui colorait tout. Etre vue, reconnue même. Que d’émotions ais-je vécu ensuite sur une scène de théâtre !
Aujourd’hui mes pas me guident vers l’écoute de ceux qui vont partir. Présence totale à l’autre. Ecoute du petit enfant qui aurait tellement voulu dire ?

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