jeudi 23 octobre 2008

Autoportrait

Avez-vous vu le film « Entre le murs », Palme d'Or du dernier Festival de Cannes? A un certain moment, dans le film, il est question pour les élèves de faire un autoportrait. Chacun y relate ces faits et gestes, ses « j’aime bien, j’aime pas », une sorte d’énoncé superficiel de manies et d’habitudes, censé refléter le « qui suis-je ? » cher à socrate. Je tique, quelque chose me dérange. Ce professeur, me semble-t-il, passe à côté de l’enjeu réel de la question de l’identité à savoir …celui du mensonge.
Non pas le mensonge dans le sens de tromper volontairement l’autre mais celui du mensonge permanent de ne pas oser montrer qui l’on est vraimen et d'ainsi se conformer à des masques, adaptés aux autres ; copains, parents, professeurs... En quelque sorte, de jouer des rôles, des identités qui sont soi mais pas tout à fait ou pas seulement.
De la conscience de ce mensonge peut naître un certain malaise dû au décalage de se sentir seul(e) et incompris(e) parmi les autres. Solitude ontologique. Cette mince paroi qui nous sépare les uns les autres, ce sentiment d’être toujours en léger décalage, voilà, me semble-t-il, le vrai sujet de l’autoportrait. Il n’est pas abordé dans le film par ce professeur qui se satisfait de la couche de surface habituelle (pour ce que nous en voyons en tout cas). Même, il semble tout à fait heureux de l’émergence d’une pincée psychologique dans l’autoportrait de l’élève chinois Wey. Je ne blâme pas ce professeur qui fait probablement de son mieux…

Tous, enfants, adolescents et adultes sommes tous en quête de savoir « qui nous sommes ». Et nous avons besoin d'être aimé pour "qui nous sommes vraiment". L’école pourrait être un des lieux de prise de conscience de ce besoin et en partie, d’un espace possible de résolution de celui-ci.

« Entre les murs » a le mérite de nous rappeler que l’école et l’éducation telle qu’elle est envisagée en ce XXième siècle, en occident, est avant tout un lieu de conformité sociale où règne l’équilibre fragile de la sanction et de la récompense. Souleymane, à cet égard, en est un parfaitexemple. Doué de sensibilité et vivant dans une problématique familiale difficile, est renvoyé. Inadapté, il rejoindra la cohorte des «non désirables », ceux qui dérangent et que l’on ne veut pas (plus) voir. Par cet exemple on peut mesurer le gouffre qui sépare une école qui apprend à être conforme à la vie en société, d’une autre école possible qui aiderait chacun à reconnaître sa juste valeur. Une école valorisante, non compétitive et non punitive ? Je rêve…

Je me souviens… de ma propre expérience des bancs de l’école. Cette plongée dans la sensation de ces années d’adolescence, je l’accueille avec émotions et étonnement à la fois, tant ces souvenirs étaient enfuis. J’étais une élève sans problèmes, sociable et intelligente. J’avais de bonnes notes, je remettais mes devoirs à temps et à heures et je ne dérangeais personne. Tout semblait pour le mieux. Mais au-delà des apparences, je me sentais absolument seule. J’avais construit, entre mes petits camarades de classe et moi, un masque conformiste afin de cacher un grand désarroi intérieur. Partout où j’allais, je guettais le moindre signal de danger. Celui d’être démasquée. On allait, on pouvait, à tous instants voir qui j’étais : minable, sans qualités, ni valeurs. Tarée, maudite et monstrueuse. La seule perspective de me trouver exposée aux yeux de tous, pour un travail d’élocution par exemple, me remplissait d’effroi des jours durant. D’où me venait ce sentiment de n'être rien ou pas grand chose ? Encore aujourd’hui, je n’en connais pas la source précise et exacte. Bien sûr, au sein de ma famille régnait la violence, le silence et l’indifférence à tous soins de l’âme. Mais peut-être est-ce plus profond, dans mon incarnation même qu'est née cette blessure? Enfant, je la portais sans trop savoir et puis lors de l’adolescence, je me suis confrontée à mon image et je me suis déçue. Je n’étais pas celle que j’espérais être et je me comparais, d'un regard impitoyable, à toutes mes copines et aux images de la télévison et des magazines. Le verdict était: pas assez jolie. Pas assez pour devenir « clodette »( !)par exemple. Vous voyez, les filles un peu nunuches qui dansaient derrière Claude François, mon idole de l’époque (j’ai changé de goûts depuis, rassurez-vous !). Alors, j’ai rasé les murs. Alors, lorsque je plaisais aux garçons, je ne pouvais le croire. Quelques années plus tard, un bataillon de boutons d’acné a complété le masque. J’ai vraiment crû être la « pas aimée « et je suis devenue (inconsciemment) la « pas aimable ». La résolution du conflit entre moi et mon image, je ne pouvais le vivre à cette époque. Il se cachait là trop de souffrances. Par bonheur, aujourd’hui, la réconciliation est en marche…

1 commentaire:

TAO a dit…

Pas facile d'être nu face à un regard cruel. Mais pas facile de faire tenir le masque quand la colle prend l'eau ... Très touchant ton récit.