lundi 2 juin 2008

C'est quoi l'amour ?

Je me souviens… de la petite dame qui vivait à côté de chez nous, Félicie Dumoulin. Elle avait perdu son mari bien des années plus tôt. Ils n’avaient pas eu d’enfants mais elle avait un neveu et une nièce qui venaient la visiter. Je crois qu’elle souffrait de n’avoir pas de famille c’est pourquoi, elle nous accueillait moi et mon plus jeune frère comme si nous étions ses petits enfants. Pour moi, elle était comme ma grand-mère. Ma « réelle » grand-mère, la mère de ma mère, je ne la voyais que peu, lors de visite dans le home où elle vivait. Elle me semblait triste et gémissante et je ne me souviens pas d’attentions particulières de sa part pour nous.

J’aimais beaucoup aller chez Mme Dumoulin par contre, surtout à l’heure des repas. Elle faisait cuire sa viande jusqu’à presque la brûler. Elle me donnait toujours un petit morceau et puis nous faisions des trempettes de pain dans le beurre brûlé, j’adorais ça. Elle préparait toujours une délicieuse laitue, toute fraîche cueillie de son jardin qu’elle accompagnait généreusement d’une mayonnaise faite maison. Quand venait l’heure du repas dans ma famille, je n’avais plus très faim…

Je la revois aussi se baissant, avec son large bassin et ses jambes tordues de rhumatisme, sur ses rangées de pommes de terre. Le jardin embaumait des parfums de toutes les fleurs qu’elle avait semées et aussi des petites haies de gui qui délimitait ses plantations et son jardin du nôtre. Il s’agissait pour moi d’un univers magique, rayonnant de beauté qui ravissait mes sens en éveil.

Souvent, nous logions chez elle, mon frère et moi. Nous regardions ensemble la télévision, la rtb. « Voulez-vous jouer ? » était notre émission favorite : la joie régnait entre nous, que de blagues et de commentaires farfelus ! La pièce était surchauffée par son poêle à charbons et les joues en feu, nous montions nous coucher, avec une bouillotte, dans le lit moelleux et couvert d’épaisses couvertures. Le lendemain, c’était les yeux rouges et la gorge serrée que nous rentrions chez nous, non de l’émotion de la quitter mais de l’allergie aux poils de son chat qui nous avait rejoint pendant la nuit.

Parfois, le dimanche après la messe, elle ouvrait sa bouteille de martini et nous en donnait un petit verre. Un peu saouls, nous faisions alors quelques pas de valse ou de tango. Sa voix chantonnait de vieux airs et nous, les enfants, nous partions en fous rires légèrement alcoolisés.

Et puis j’ai grandi. Nous avons déménagé. J’ai fait ma vie, loin d’elle. De temps en temps, elle nous rejoignait lors d’une fête de famille. Elle parlait de la solitude qui lui pesait, de son envie de partir pour rejoindre Jesus, qu’elle allait prier chaque jour.

Bien des années plus tard, je suis allée la voir avec ma sœur. Elle vivait à son tour dans un home. Elle s’éteignait peu à peu dans sa chambrette avec rien à faire. Nous avons pleuré toutes les deux. Elle, de se souvenir du temps jadis où « j’étais si gentille » et moi, des moments de tendresse vécus près d’elle. Puis elle est morte, peu de temps après…

Aujourd’hui, quand je repense à elle, je revois une dame toute simple, fondante de bonté et d’humeur enjôleuse. Elle a été mon rayon de soleil dans l’enfance gris chagrin, un îlot de résilience. Là où elle est, je lui envoie mille baisers d’amour.

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