samedi 24 novembre 2012

Des bagarres


A la maison, on aime tous la bagarre.
Papa se dispute avec maman.
Maman avec Mimoune.
Ma grande soeur Jane avec Roy, le plus grand des garçons.
Et moi avec mon frère jumeau Rock, on se fait des salades aussi.
Il n'y a que Sally, le chien, qui est doux comme le vent du soir sur la plaine en été.

Pour démarrer une bagarre, il suffit d'un seul mot qui fait mal.
On l'appelle le "mot de travers"...
Cornichon- Trognon pourri- Fais ch...- Trou du c.."

Au moment où il franchit nos lèvres, c'est parti comme une poudre de dynamite.
ça fait Pan! Boum boum!
Et même parfois, y a des claques qui se perdent: Paf!

Après, sur le champ de bataille, maman ramasse les blessés, met des pansements et sèche les larmes.

La nuit, le calme revient dans la maison... le silence nous berce dans nos lits.
Et puis le jour se pointe et c'est reparti!

Jusqu'au jour où Sally est parti...! Sur la table de la cuisine une lettre "Mes oreilles n'en peuvent plus de vos cris. J'en ai assez, je pars." Signé-Sally

On a tous ouvert de grands yeux, d'étonnement: d'abord que Sally sache écrire et puis qu'il nous ait quitté...

Sans rien se dire, on a tous compris. On devait changer, parce que nous aussi, au fond, on en avait marre. Et peut-être que Sally allait revenir?

On a décidé- plus un mot de travers à partir de maintenant!
Chacun a trouvé son truc.
Papa a dit que des mots gentils à tout le monde même si son regard était furieux.
Maman chantait tout le temps, des berceuses et se promenait avec son rouleau à tarte qu'elle frappait de temps en temps sur le mur.
Grand-mère, souriait et on a tous bien vu qu'elle n'avait plus qu'une dent.
Jane ne regardait plus personne et passait son temps à se brosser les cheveux avec son revolver.
Roy est resté seul dans sa chambre sauf pour les repas. Il serrait sa fourchette si fort que l'on a eu un peu peur qu'il ne la fourre dans le ventre d'un de nous.
Rock, lui, s'est mis un sparadrap sur la bouche et il n'a plus rien mangé.

Et moi, je suis restée sur le perron de la maison avec les jumelles pointée sur l'horizon, en attendant Sally...

On a tous lutté mais à l'intérieur cette fois.

Les jours ont passé... Toujours pas de Sally.
Le soir du troisième jour sans bagarre, on s'est retrouvé autour du repas. La tristesse est venue manger avec nous. C'est papa qui a craqué le premier. Il y a une larme qui a glissé sur sa joue. Dans le silence, on l'a entendu coulé, comme un cri. Tous, on a suivi. Les pleurs ont glissé dans le potage. Plus on pleurait, plus nos assiettes se remplissaient. On en a bu encore et encore de cette tristesse. On s'est tous pris dans les bras, on s'est fait des bisous, on s'est consolé. Et puis, à un moment ça s'est arrêté. Epuisé, on a tous été au lit. Dans l'air, c'était vraiment calme et apaisant.

Le lendemain, j'ai repris mon poste sur le perron avec les jumelles et là je l'ai vu trottiner vers nous... Je me suis levée et j'ai crié: Sally est revenu!!!


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