lundi 8 octobre 2012

Bruxelles, Porte de Namur, un samedi fin d'après-midi.


Quand je l'ai vue, elle était couchée, inerte et la foule passait à côté d'elle, en la regardant de travers. Moi aussi, je passe à côté d'elle et en moi, il y a cette impression qu'il s'agit ici de non-assistance à personne en danger. Je m'arrête, deux hommes aussi dans le même mouvement. Nous échangeons «Que peut-on faire?» Ils s'en vont, je me rapproche. Son corps est frêle, elle porte un pantalon kaki, des baskets, un gilet. Je l'appelle en la secouant doucement. Elle se relève à demi et me chasse «Mais va te faire foutre!» Je lui dis «Je voulais juste vérifier que ça allait pour toi. Tu étais couchée là...» «Ouais, mais je suis défoncée!» «Oui, je vois...» Elle se redresse, s'assied et me parle d'elle. Elle a 18 ans, moitié manouche- moitié belge, se shoote à l'héroïne. Elle squatte pas loin. Une dame rencontrée quelques heures plus tôt, lui a proposé de l'héberger. Je me demande où sont ses parents. «Ils se défoncent, alors je fais comme eux.» Le sol se dérobe sous moi. Cette fille est complètement lâchée ou elle a tout lâché. Elle n'a que son chien pour attache «C'est mon seul ami.» Je le regarde, le pauvre et mon coeur a mal qu'il soit embarqué malgré lui, tout jeune et plein d'entrain, dans cette galère.
Je me tourne à nouveau vers elle et je la vois, jeune elle aussi et pleine de promesses mais ses yeux, tout de travers, montrent déjà des signes d'usure. A-t'elle mal de vivre ainsi? Je ne peux mesurer sa souffrance et en même temps, je sens se réveiller la mienne. Mon coeur s'ouvre. J'ai envie de rester près d'elle, de lui parler et d'éveiller le vivant en elle. Quelle prétention! C'est pourtant cette part-là que je tente de rencontrer. Il y a chez elle cette brutalité d'exister, cette façon d'être là, sans s'excuser. Et, à la même échelle, un désir de fuir cette réalité brute et parfois brutale.
«Les gens sont méchants» lance-t'elle et moi «Arrête de te droguer». Nos deux visions du monde se percutent. Les deux sont vraies. De là où je suis, je peux voir la violence qu'elle perçoit dans le monde, violence qu'elle se renvoie en détruisant sa lumière intérieure.
Encore maintenant, je ne peux savoir si cette lumière chez elle s'allumera au moment de ce jour où il sera trop tard et que dans un sursaut d'effroi car touchée par la grâce, sa décision de vivre l'emportera. Tout est possible et peut-être de témoigner de cette rencontre, est-ce plus profondément un appel que je fais à son âme.
Belle vie à toi, petite gitane et MERCI

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