Quand tu passes la porte du « -1 », tu peux mettre ton ego au placard. Pour naviguer ici, seul te servira ton cœur. Car ici, personne ne peut plus prétendre être quoi que ce soit. Ni toi, ni les gens dans leur lit. Non pas de le vouloir. C’est la maladie, la vieillesse, la douleur et la souffrance qui le veulent.
Moi, je sais et je ne sais pas pourquoi je suis là...Touchée, ébranlée… Il ne me faut pas cinq minutes pour pleurer cette fragilité et la mienne du même coup, probablement.
Corps meurtris, douloureux, que pas un bien portant dans ce monde ne pourrait supporter ; ecchymoses sur les bras, jambes aux plaies noires, maigreur extrême.
Tu ne peux voir que ces corps et n’importe quel autre que celui qui choisit de voir ce qui n’est pas visible, s’enfuira par réflexe. Et si tu es celui qui ne s’enfuit pas, tu plonges ton regard au-dedans de cet autre, qui est aussi toi, tu relies ton cœur à celui de l’autre, qui est aussi toi.
Ici, cachés derrière les murs qui protègent les bien vivants (ou qui se croient l’être) de leur vue, règnent l'anéantissement, le tragique, les besoins dans le lange, la démence.
C’est tellement fort que pour les mieux lotis, ceux qui bougent encore, ou qui sont « sauvés » pour cette fois et qui pourront repartir, on s’occupe avec une carte à écrire, quelques livres, la télé, la toilette, les médicaments et aussi nous, les bénévoles, qui offrons l’écoute à ceux qui veulent parler.
Puis, il y a les autres, les prostrés, qui gémissent parfois, qui respirent à peine, à qui l’on ne peut plus que tenir la main pour dire « je suis là ». Reliés à la vie par un mince fil, ils attendent sans plus rien dire.
Au « -1 », tout est à nu. Le cœur, les tripes. Une main qui touche une autre. Un sourire. Un peu d’eau. Une parole qui apaise.
Merci à Anne-Marie, l’ange de cette première journée aux soins palliatifs.